Le Festival d’Avignon retrouve Samuel Achache avec sa dernière création qui mêle opéra et théâtre de l’absurde dans une proposition qui déborde de talent, d’idées démentes et d’images somptueuses.
Quand on entre dans l’opéra, on découvre la fosse pleine des musicien·ne·s de l’Orchestre de l’Opéra national de Nancy‑Lorraine, ils et elles sont cinquante-deux, augmenté·e·s d’un saxophone, d’un accordéon, de percussions et d’un instrument en métal, immense, semblable à un mobile pour enfant signé Steve Reich. Une comédienne arrive, elle se présente, elle est scientifique, mais elle porte un pyjama, et voici que son double apparaît. « Elles » a perdu sa mère, « elles » s’effondre en larmes, le corps tout entier secoué de sanglots. Bientôt, iels sont six à être bouleversé·e·s par la peine. Jusque-là, tout est normal, mais les grands panneaux gris s’ouvrent avec élégance et la mère, elle aussi doublée, apparaît, « belle, très très belle », « jeune », en tenue de soirée. Et voilà que la scientifique doute : et si les fantômes existaient pour de vrai ?
Quiconque a enterré un être cher le sait, les morts, surtout au début, restent collés aux vivants, en deuil, on ressent parfois des présences intenses qui nous font sursauter. C’est exactement cette sensation que Samuel Achache installe sur scène, déployant un flot d’idées folles à chaque seconde. L’absurde est délicieux, les mères sont parfaites en incrédules face à leur propre disparition, elles sont tristes, elles aussi versent des larmes. Quatre-vingts pour cent du temps, les paroles sont chantées de façon lyrique, ce qui crée un merveilleux décalage entre un texte déjà déjanté et des voix d’une justesse cristalline. Imaginez la phrase « Je n’ai jamais acheté de tapis » en version opéra, c’est très drôle.
L’histoire progresse comme une enquête faussement sérieuse pour déterminer si la mère est vraiment morte. Achache a la bonne idée d’interroger la notion de miracle dans le monde religieux, et de façon brillante il inverse les rôles : les scientifiques croient aux esprits, les croyant·e·s temporisent, « Vous allez crier au miracle comme on crie au loup », face à un phénomène presque castellucien, geste scénographiquement très beau, qui permet à la troupe d’aller au bout de la controverse.
Dans ce monde invraisemblable, Achache se glisse, par hasard, air du temps oblige, dans le grand thème du festival : la famille. Les relations mères‑filles, démultipliées, sont au cœur des Incrédules. Il y a de la crainte, de la culpabilité, « J’ai voulu qu’elle meure », de la haine, « Je regrette de n’avoir eu aucun plaisir à être ta mère ». Ce n’est pas si simple de partager l’espace-temps avec sa maman, l’écart générationnel entre « elles » et « elles » se traduit par des envolées de soprano et de mezzo, auxquelles les spectateur·ice·s du festival ne sont pas habitué·e·s.
Les Incrédules est une leçon de deuil : la pièce nous apprend à accepter d’accueillir ce que nous ne comprenons pas et à faire taire les fausses interprétations. Les évolutions du décor sont très pertinentes, elles accompagnent le geste qui permet aux vivant·e·s et aux mort·e·s de collaborer ensemble, dans un même espace-temps, avec intelligence. L’orchestre déborde de la fosse sur la scène en invitant des instruments peu conventionnels dans un ensemble symphonique où on compte guitares et accordéons. La musique s’envole et porte ce livret improbable écrit par Samuel Achache et Sarah Le Picard. Les Incrédules tient du grand opéra théâtral, ou inversement. Brillant.
في عرض Les Incrédules، يدخل المشاهد إلى أوبرا حيث يكتشف فُسّاح الفرقة الموسيقية المكونة من ٥٢ عازفًا وعازفة، ويضاف إليها ساكسفون وأكورديون وآلات إيقاعية وآلة معدنية ضخمة تشبه لعبة هوائية. تلتقي عالمة بزوجها الشبح، ويتساءل النص، بأسلوب كوميدي صادم، عمّا إذا كانت الأرواح قادرة على الوجود الحقيقي. المزيج بين الغناء الأوبرالي والنص الساخر يخلق تباينًا ساحرًا، بينما يتناول العرض بذكاء موضوعات الحزن والعائلة والمعجزة والدين، مصحوبًا بإخراج بصري مذهل وموسيقى تنسجم مع جنون الفكرة.
In Les Incrédules, the audience enters an opera to find a 52‑member orchestra augmented by saxophone, accordion, percussion, and a gigantic metal instrument reminiscent of a Steve Reich mobile. A scientist in pajamas meets her ghostly double, and soon six characters grapple with grief’s raw intensity. Director Samuel Achache blends absurd comedy, lyrical opera singing, and a faux-investigation into whether the mother is truly dead, playfully interrogating the notion of miracles. The show brilliantly inverts expectations—scientists believe in spirits, believers warn against crying “miracle” too soon—and explores mother‑daughter bonds with soprano‑mezzo duets that surprise and move the audience. Visually stunning and musically daring, Les Incrédules is a theatrical-opera hybrid about loss, family, and the unknown.
Du 22 au 25 juillet 2025 à l’Opéra Grand Avignon
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : Les Incrédules, Samuel Achache, 2025 © DR