Christophe Barbier adapte, Briançon met en scène et la plume de Jules Barbey d’Aurevilly trempée dans le feu jaillit devant nous dans la grande salle du Poche Montparnasse.
Trois comédiens et une comédienne s’avancent devant nous. Ils seront les avocats de l’œuvre de Barbey d’Aurevilly auprès d’un tribunal transformé en police des mœurs et en censeur. Ils seront aussi les personnages des nouvelles des Diaboliques choisies par Christophe Barbier. Parfois, ils seront, chacun à tour de rôle, le narrateur. La joyeuse trouvaille de mise en scène consiste à jouer à quatre voix. La plume mature rencontre l’amusement de l’infantile.
J’ajouterai une chose, Monsieur le juge. Le crime ne disparaît pas quand il est puni. Et quand la justice est impuissante à confondre des coupables, elle doit laisser les écrivains raconter leurs forfaits, afin que la postérité les damne d’un implacable souvenir. Sans nous, l’amnistie de l’oubli conforte le criminel. Celui que le glaive n’atteint pas, la plume peut l’écorcher pour l’éternité. (Extrait du texte de Christophe Barbier : Les Diaboliques d’après Jules Barbey d’Aurevilly)
Les nouvelles extraites des Diaboliques présentées sont au nombre de quatre. Le Bonheur dans le crime : Le Comte Serlon de Savigny prend des leçons d’escrime avec la belle et mystérieuse Hauteclaire Stassin. Un matin, la bretteuse disparaît mystérieusement pour s’installer incognito au château du Comte. Le Rideau cramoisi : Un jeune officier s’ennuie dans sa ville de garnison, quand surgit la fille de son logeur, sublime et envoûtante, murée dans un silence qui autorise tous les fantasmes. Fièvre du désir, feux de la passion, mais fatalité du destin. La Vengeance d’une femme : Une prostituée fascine un dandy qui égare sa jeunesse dans les basfonds de Paris. Elle n’est pas comme les autres, car elle se prostitue pour se venger de son mari, dont le mépris l’a détruite à petit feu. Un dîner d’athées : Le capitaine de Mesnilgrand, ancien soldat de Napoléon, entre discrètement dans une église pour clore une tragique histoire nouée lors de la guerre d’Espagne, un corps à corps avec la Rosalba, femme fatale.
Adapter Les Diaboliques pour le théâtre, c’est lancer un triple défi. Le premier consiste à réveiller une œuvre considérée comme maléfique à sa publication et presque maudite par la suite. Le deuxième défi est celui de la langue, ce français somptueux et opulent que laboure Barbey d’Aurevilly de la pointe de sa plume. Le troisième défi est celui de l’incarnation. Les personnages masculins sont des caractères de cuir et d’acier, que la vie a jetés dans d’improbables aventures. (Christophe Barbier)
Ainsi donc, nous retrouvons tout l’esprit de Christophe Barbier dont l’érudition littéraire et la rigueur historique. L’auteur, fidèle à ce qu’il est, ajoute un quatrième défi que le metteur en scène et la troupe merveilleuse épousent avec joie et qui est l’humour. On s’amuse beaucoup. Tout ceci construit un formidable moment de littérature et de théâtre.