Dans le cadre du Festival d’Automne, la Maison de la culture du Japon à Paris accueille Shingo Ôta et Kyoko Takenaka pour une relecture française de leur docu-performance sur la culture des geishas.
La geisha est l’un des archétypes du Japon dans l’esprit des occidentaux, au même titre que les samouraïs. Si ces derniers ont disparu depuis le 19ème siècle, les geishas exercent encore aujourd’hui, mais ne sont plus qu’à peine 200 dans tout le Japon. Comment ces figures qui ne représentent plus la réalité actuelle du pays peuvent-elles être toujours aussi largement utilisées pour promouvoir le Japon et sa culture ? Que représentent-elles aujourd’hui ? Pourquoi l’Etat ne cherche-t-il que peu à préserver ce pan de la culture japonaise ? Toutes ces questions traversent le spectacle hybride du documentariste Shingo Ôta et de la comédienne Kyoko Takenaka.
Le plateau est presque vide : des lumières de chaque côté, un grand coussin, et un écran de projection en toile de fond. Sur la droite, le guitariste Kazuhisa Uchihashi retranscrit les sons des instruments traditionnels, au centre, Shingo Ôta et Kyoko Takenaka, habillés en geishas avec perruque, kimono, obi, tabi, éventail. La genèse du projet s’expose en mode documentaire sur l’écran, montrant les deux protagonistes discuter en voiture pendant la préparation du spectacle, dans un contraste frappant entre une modernité triviale et la représentation traditionnelle élégante et mesurée. Les allers-retours entre ces deux réalités commencent.
La performance, remaniée pour la France, combine les points de vue de ses deux auteurs, qui vont tous les deux évoluer au contact d’une ancienne geisha, Hidemi. Celle-ci leur a enseigné les gestes, les danses, les attitudes et les règles des geishas qu’ils ont ensuite répétés et reproduits dans des banquets en tant qu’apprenties geishas. Alors que leurs corps intégraient cette culture traditionnelle, leurs esprits continuaient à formuler de nouvelles questions. Pour Kyoko Takenaka, dont le féminisme n’était pas compatible avec l’idée que le métier de la geisha était de plaire aux hommes, la bascule s’effectue à la réalisation que la vie d’une geisha est guidée par l’art de la musique, de la danse et de la conversation.
Les questionnements de Shingo Ôta s’ancrent dans le corps et la symbolique des mouvements très codifiés des danses. L’élégance du geste de la main, la délicatesse de l’angle formé entre le cou et la tête, la position précise des pieds, tout cela forme un spectacle au raffinement peaufiné par des siècles de pratique mais contre lequel l’auteur résiste. Pourquoi cet art traditionnel, comme d’ailleurs beaucoup d’arts traditionnels japonais, ne peut-il pas évoluer avec les époques, doit-il rester enfermé dans ses codes et les images d’autres temps? Les dernières geishas propose alors une appropriation contemporaine de cet art, allant jusqu’à interpréter un rap revendicatif de geishas contemporaines.
Avec une ironie piquante, les deux performers, sous le regard bienveillant d’Hidemi, questionnent leur culture tout en perpétuant ses gestes traditionnels. Car comme nombre d’arts japonais, l’art d’être geisha se transmet par un apprentissage long des maîtres à leurs élèves qui assimilent par mimétisme et imprégnation constante depuis un très jeune âge. Ainsi, pourquoi les geishas ne bénéficieraient-elles pas de la part d’un Etat ambivalent des mêmes politiques de soutien et de préservation ? Mais peut-on considérer qu’un art est toujours le même s’il se modifie au fil du temps ? Un consensus peut certainement se trouver autour de ce qui constitue l’essence de l’art.
Autour du spectacle, des rencontres, projections, conférences et exposition sont organisées, dont la rencontre à la fois drôle et passionnante samedi dernier avec Hidemi, la dernière geisha de Kinosaki qui a formé Shingo Ôta et Kyoko Takenaka à son art.
Les dernières geishas est à voir les 18 et 19 novembre à la Maison de la culture du Japon à Paris dans le cadre du Festival d’Automne
Visuels : Les dernières geishas ©Pierre Grosbois