La technologie numérique de la compagnie INVIVO s’empare des Gémeaux avec une adaptation des Aveugles de Maeterlinck. Ou comment le digital réinvente le « tragique quotidien » cher au dramaturge belge.
Douze aveugles, de naissance ou par accident, abandonné·es sur une île par le prêtre qui devait leur servir de guide : tel est le point de départ de la pièce de Maeterlinck. Point de départ, mais aussi d’arrivée, puisque Les Aveugles, avec Intérieur et L’Intruse, ouvre la voie à un nouveau théâtre où le mouvement et l’action cèdent le pas à la parole et à l’immobilité. Car c’est bien à l’inaction que ces aveugles sont désormais contraint·es : incapables de se repérer dans l’espace et le temps, iels en sont réduit·es à parler, autant pour se rassurer que pour tenter, à plusieurs, de deviner où iels sont.
À l’affût du moindre signe
C’est cette perte de repères que la compagnie INVIVO choisit de partager avec ses spectateurs et spectatrices. Pour ce faire, le public – composé, comme le groupe d’aveugles, de douze personnes – prend place sur un tabouret et se coiffe d’un casque de réalité virtuelle. Aux oreilles, un casque audio murmure les répliques, inquiètes, de ces êtres abandonnés à leur sort. Quelle heure peut-il bien être ? Est-ce la mer que l’on entend ? Les aveugles, à l’affût du moindre signe leur permettant de s’orienter, n’ont de cesse de s’interroger.
L’espace qui s’étend alors face au regard du public est celui d’un pointillisme noir et blanc en perpétuel renouvellement. Les branches des arbres jouent les constellations, tandis que les murs des grottes semblent s’évaporer à mesure que l’on s’en approche. La perte de repères travaille la verticalité autant que l’horizontalité, les spectateurs et spectatrices ayant par instants le sentiment de nager ou de voler au milieu de ce paysage aux contours volontairement mal définis, qui se dérobe sous les pieds.
Entre visible et invisible
Les lieux qui apparaissent entrent en résonance avec les conjectures des aveugles, mais leurs disparitions soudaines remettent sans arrêt en question ce que l’on croyait avoir perçu. Peut-être est-ce là la grande trouvaille de l’installation : jouer sur la vue plus que sur la cécité pour nous faire perdre toute conscience de l’espace. Ce faisant, elle donne un nouvel éclairage aux réflexions de Maeterlinck sur la dialectique entre visible et invisible dans notre vie moderne. Ce moment passé dans un monde incertain, où la vue et l’ouïe sont partenaires autant que rivales, marque durablement.
Les Aveugles – d’après Maeterlinck – compagnie INVIVO-Julien Dubuc. Aux Gémeaux-Scène nationale de Sceaux jusqu’au 14 décembre.
Visuel : © Nicolas Richard
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