Stanislas Nordey adapte aux Amandiers de Nanterre le récit d’inceste de Christine Angot. La superbe mise en scène et la brillante interprétation laissent entendre avec force le témoignage.
Paru en 2021, prix Médicis, Le Voyage dans l’Est de Christine Angot est un retour sur les lieux du crime, à l’endroit même où le père, pour la première fois, impose un rapport incestueux à sa fille. Le texte traverse avec une froideur si proche du réel les thèmes de l’inceste, de l’emprise, du consentement, et aussi de la honte et de la culpabilité. Depuis la sortie du livre, sur ces sujets, une autre écrivaine a fait l’événement : Neige Sinno avec son multi-primé Triste tigre en 2023. Et il y eut une querelle autour de la question de la fictionnalisation ou pas d’une bio traumatique. Autour d’une écriture thérapeutique ou pas, dépotoir au pas ; d’une joie d’écrire et de se raconter.
On trouve déjà une réponse à ces interrogations dans l’œuvre d’Hélène Cixous. L’écrivaine et dramaturge, compagne de route d’Ariane Mnouchkine assénait dans Le rire de la méduse : La femme se libère en s’autorisant à écrire, en enjambant l’usurpation. Il nous reste à nous déc-rire.
La querelle s’épuise définitivement dans la grande salle du Théâtre des Amandiers. Nous voici emportés pour la description et pour l’écriture. Sur le plateau, le texte de Christine Angot devient un chef-d’œuvre aux multiples dimensions, sans ne perdre de son pouvoir de sidération, et sans rompre avec cette plume âpre, si proche du concret. Le texte dit plutôt qu’il ne raconte. Il ne dit pas le réel, il le constitue dans la fiction.
Un vaste dispositif reprend des éléments du décor de Au bord de Claudine Galea (2022), avec au-dessus de nos têtes, en hauteur du décor, un immense panneau sur lequel une vidéo est projetée. Cécile Brune entre. Et dès les premiers mots prononcés, elle légitime tout et nous plaque au siège. Elle est une diva, sa voix sera celle de Christine Angot et on ne sait si on aime Christine ou Cécile. Le parcours est rude, mais captivant. Trois comédiennes interprètent les trois âges de l’héroïne. Pierre-François Garel qui joue le père est formidable dans ce rôle de manipulateur éblouissant.
L’expérience du spectateur est une communion. L’écriture de l’altérité de Angot prend corps dans la salle. Le spectacle est splendide autant que saisissant. Chacun quitte la salle, épuisé par le tournis du récit, mais il pourra désormais lui aussi témoigner. Peut-être aussi que la grâce de Cécile Brune aura autorisé certaines à écrire, et certains à se soigner.
Une pièce majeure.
Le voyage dans l’est
Texte
Christine Angot
Mise en scène
Stanislas Nordey
Collaboratrice artistique
Claire ingrid Cottanceau
Avec
Carla Audebaud
Cécile Brune
Claude Duparfait
Pierre-François Garel
Charline Grand
Moanda Daddy Kamono
Julie Moreau
Aux Amandiers de Nanterre