Du 10 septembre au 30 décembre au théâtre de la Scala à Paris, le comédien Mickaël Délis rejoue son seul en scène, dans lequel il dynamite avec humour et sensibilité les injonctions à la masculinité, qu’il a vécues jusqu’au début de l’âge adulte.
« Tous les hommes sont des salauds », prévient la mère de Mickaël Délis – jouée par lui-même – au début du spectacle Le premier sexe. Dans cette phrase, se condense une bonne partie des obligations imposées par la société pour être un soit-disant vrai homme. Si le titre de la pièce porte à confusion – un ouvrage d’Eric Zemmour portant le même nom –, l’auteur et comédien dissipe tout soupçon. Ici, il interroge, à partir de l’essai Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, sa place en tant qu’individu qui estime correspondre à son genre, mais confronté à des congénères qui ne veulent pas de lui.
Poignet cassé qu’il tente irrémédiablement de dompter, corps pas conforme, longs cheveux bouclés qui tombent en cascade sur ses épaules. À son adolescence, Mickaël Délis ne correspondait en rien à l’idée qu’on se fait d’un homme. C’est en tout cas ce que lui serinent ceux qui ont croisé la route du comédien tout au long de sa vie. Musclé, monté comme une armoire à glace, viril, la démarche droite, voilà ce à quoi doit ressembler quelqu’un qui appartient au sexe masculin.
En un peu plus d’une heure, l’acteur endosse tour à tour le rôle de sa mère libérée et névrosée, son frère archétype de la masculinité stéréotypée, son maître d’école, un professeur du CNRS un peu farfelu, son père séducteur blotti dans le silence. Mickaël Délis lui-même grandit sous nos yeux : d’abord petit garçon écoutant religieusement sa maman, puis adolescent mal dans sa peau avant l’émancipation du début de l’âge adulte.
S’il raconte son coming-out homosexuel, le récit intime de l’artiste porte avant tout sur son parcours pour accepter sa propre façon d’être un homme : vulnérable, fluide, sensuel, des attributs toujours trop associés au féminin. Il porte aux nues les femmes de sa vie, de sa mère à Britney Spears, pour finalement revendiquer cette manière d’être.
Il aborde aussi d’autres sujets difficiles qui soulignent de manière pertinente que les traumatismes des parents, s’ils sont gardés secrets, éclaboussent souvent et presque toujours leurs enfants. Le silence imposé aux hommes, en particulier, a des conséquences profondes et durables. Oscillant entre émotion et humour, Mickaël Délis laisse des temps d’arrêt, accélère la parole, écoute la salle, organisée en cercle autour de l’orateur.
Il se rapproche et nous dans le même temps avec cet·te adolescent·e qu’on a tous·tes été : mal dans sa peau, cherchant sa singularité au milieu d’yeux inquisiteurs, et donc se réprimant par peur d’être vu comme trop bizarre. Ses yeux sont humides, les nôtres aussi, parce qu’on a tous rêvé du moment où on ferait voler en éclat, dans un geste sublime, tous ces carcans absurdes.
Entre émotion, humour et infinie tendresse, on comprend le succès de cette pièce, reprise d’un spectacle déjà joué en 2022, aussi en 2024, et au Off d’Avignon. Il a poussé l’auteur à créer la Trilogie du troisième type, dont les deuxièmes et troisième volets porteront respectivement sur « le contenu de son slip » et « la semence des hommes ». Il faudra bien trois épisodes pour en finir avec le mythe de l’homme viril, insensible, qu’on espère un jour devenir désuet.
Dans Le premier sexe, Mickaël Délis endosse plusieurs rôles pour questionner sa part de masculin. © Marie Charbonnier