Elle est complètement Cult (.news). Emma Dante a acquis en quelques années une réputation d’artiste culte réunissant autour d’elle une véritable confrérie d’initiés. Son dernier opus, tube du Festival d’Avignon 2021, Misericordia est un joyau qui arrive enfin à Paris.
Comédienne, dramaturge, metteuse en scène de théâtre et d’opéra, auteure et réalisatrice, Emma Dante a créé plusieurs pièces qui ont fait date, Dans Bestie di Scena, elle se penchait sur l’humiliation. Dans La Scortecata, elle abordait la vieillesse et les rêves perdus. Dans Pupo di Zucchero, elle magnifiait le gouffre du deuil. Et à chaque fois, elle nous arrachait des larmes et des rires. Dans Misericordia, elle aborde la maternité avec l’intelligence du cœur.
Trois prostitués élèvent le fils d’une amie décédée. Dans leur maison misérable qu’elles quittent chaque soir pour aller vendre leur corps, Bettina, Nuzza et Anna s’occupent d’Arturo, un enfant retardé qu’elles ont pris sous leurs ailes. Cette attachante famille recomposée évolue au gré d’un quotidien, aussi joyeux qu’infortuné. Un triste événement viendra conclure cette bulle affective.
Au Rond-point, dans la grande salle, Misericordia nous aura émus, enchantés, bouleversés et émerveillés. On y retrouve ce qui constitue la force et la singularité de l’artiste des Palerme. Sur un plateau vide, quatre chaises et quelques accessoires forment l’ensemble du décor. La matière dramatique est ailleurs dans les corps mêmes du danseur et des comédiennes. Le corps se fait chair et la chair se fait discours. Le mot Misericordia opère selon son autrice la condensation entre la misère et le corps, entre la miséricorde et l’amour.
La pièce est défendue par des artistes remarquables. Ils sont uniques. Il y a Italia Carroccio ; comédienne, trampoliniste, elle est diplômée avec mention en littérature moderne de l’université La Sapienza de Rome, avec une thèse sur l’histoire du théâtre et de la performance. Il y a Leonarda Saffi actrice et musicienne. Il y a Manuela Lo Sicco danseuse, chanteuse, comédienne. Elles campent les trois femmes ; elles sont aussi attachantes que drôles. Il y a enfin Simone Zambelli, danseur, diplômé de l’Académie nationale de danse de Rome, avec une spécialisation en danse contemporaine. Il interprète Arturo, l’enfant autiste et il est un virtuose du corps et de l’émotion. Il plie et déplie l’affect le plus complexe. Il émerveille, subjugue. Dans une scène de somnambulisme, les trois mères cavalent dans une danse de l’oreiller après l’enfant en mouvement pour que toujours son crâne se dépose sur le coussin chaud. Plus tard, dans une danse inoubliable, il sera un Pinocchio qui devient garçon d’os et de chair. La performance est à chaque fois inoubliable et s’efface devant le solide affect engendré.
Emma Dante veut offrir un hommage aux femmes et aux mères. Elle explique : « Pour moi, ce sont trois Parques, trois êtres mythologiques qui parviennent à faire des miracles au moyen de l’amour et de la résistance. »
Jamais le sujet ne fut ainsi traité. On le sait : un enfant d’où il vient est l’enfant de tous. Emma Dante ajoute qu’une femme, d’où elle vient, recèle en elle une mère millénaire. Chacune des trois fées sur le berceau d’Arturo déploie une maternité originale. Et cependant l’enfant n’est le fils biologique d’aucunes. Ces différentes formes de maternités se confondent en une seule, pleines d’une tendresse constructive et d’un étayage sévère, mais miséricordieux.
Le spectacle joyeux est poignant se joue jusqu’au 15 octobre. Allez-y.
Au Théâtre du Rond Point jusqu’au 15 octobre
Crédit photo ©Maslar Pasquali