Le poids lourd de l’absence de « Juste la fin du monde » par Guillaume Barbot

par Luna Beaudouin-Goujon
06.10.2025

Guillaume Barbot s’empare du classique Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, et souligne les dynamiques familiales de ce texte magnifique et cathartique. Un spectacle puissant sur les douleurs sourdes à voir au Théâtre 13 du 3 au 22 novembre 2025, ainsi qu’en région.

Le retour au bercail est parfois plus vertigineux qu’un saut dans le vide. Dans Juste la fin du monde, écrit par Jean-Luc Lagarce en 1990, Louis, le héros, se bat intérieurement pour tenter d’annoncer à sa famille l’innommable : sa mort prochaine. Dans une forme d’ultime rédemption, l’artiste retrouve les siens, qu’il n’a pas vus depuis des années.

Casser les murs de la maison hantée

Guillaume Barbot, metteur en scène de ce spectacle dont la première avait lieu au Théâtre Jean Vilar, reprend ce classique du théâtre contemporain. Immortalisée notamment par Xavier Dolan en 2016, la pièce a été de nombreuses fois mises en scène. Cette année, Johanny Bert a, lui aussi, proposé une adaptation avec les stars Vincent Dedienne et Céleste Brunnquell. Contrairement à sa scène qui se remplit au fur et à mesure ou à la mise en scène immersive de la Compagnie L’embrasement, Guillaume Barbot reconstitue une demeure familiale. Comme une maison de poupée, elle semble avoir été coupée en deux pour que l’on voit ce qui se cache à l’intérieur.

Tout y est : l’entrée qui donne directement sur la cuisine banale, plus loin la chambre de la mère. À l’étage, Suzanne, la plus jeune sœur, pensive, scrute le plafond. La pièce est séparée de la chambre du frère cadet par les toilettes. Mais plutôt qu’un lieu mort qui servirait simplement à indiquer les espaces personnels de chacun, la maison est vivante. Suzanne l’escalade pour invectiver son grand frère. Antoine, le frère cadet, se bat contre une porte fermée à clé. Les souvenirs de l’enfance de Louis s’impriment sur les murs, littéralement, grâce au travail du vidéaste Clément Debailleul.

Tout comme les personnages dont la joie des retrouvailles ne se lit bientôt plus sur les visages, la maison se disloque peu à peu. Cet endroit qui se rappelle à la mémoire torturée de Louis perd ses murs. Paradoxalement, cette disparition rend aussi la circulation plus facile. Peut-être que ce vide va lui permettre d’enfin dire sa vérité ?

Un cri inaudible

Guillaume Barbot évolue dans le milieu théâtral depuis quinze ans. Metteur en scène notamment d’Icare en 2022, nominé aux Molières en 2024, il reprend pour la première fois un texte. « Rapport au père, à l’enfance, aux relations frères sœurs. […] Tout ce qui me constitue aujourd’hui en tant que metteur en scène est réuni dans Juste la fin du monde », justifie-t-il dans son dossier de presse.

En effet, Louis est confronté à toutes les névroses universelles de la famille. D’un côté, il y a Antoine le taiseux, de l’autre sa compagne Catherine qui compense par un flot de paroles aussi maladroit que désespéré. Entre les deux, la sœur fait preuve d’une honnêteté blessante. La mère, trop compréhensive, se fait l’intermédiaire quelque peu effacée. Mathieu Perotto incarne avec une frustration corporelle et une fragilité évidentes ce personnage qui se sait condamné. Celui-ci fait écho à l’état de Jean-Luc Lagarce au moment de l’écriture de sa pièce, malade du sida depuis 1988. Il décèdera cinq ans après la parution de son texte, en 1995.

Une grande poésie émane de cette pièce où s’alternent déballages d’amour, de colère, et grande retenue. Au milieu de tout ce chaos qui fait une vie, un petit garçon déambule timidement, victime d’un monde qu’il ne comprend pas encore. Devenu adulte, les mêmes blocages, et d’autres, persistent. « On doit souvent cohabiter avec ce que l’on a été… », traduit Guillaume Barbot. Sa vision du chef-d’œuvre de Lagarce souligne cette impasse, celle des remords, de la parole qui ne sort pas, impuissante. Mais c’est aussi l’acharnement, malgré tout, à tenter d’exprimer son amour des êtres chers, par le cri, le rire ou les silences lourds de sens.

La pièce jouera aussi le 10 octobre 2025 au Théâtre de Chelles et le 16 octobre 2025 au Théâtre Jacques Carat de Cachan. ©Compagnie Coup de Poker