Après « King Lear Syndrome ou les Mal élevés » où Elsa Granat imaginait le roi shakespearien dans un EHPAD en perte d’autonomie et de lucidité, la dramaturge continue son joyeux travail de déconstruction en s’emparant de la lutte féministe de Nora dans une maison de Poupée d’Ibsen.
Il y a dans l’écriture d’Elsa Granat une forme de politesse et de tendresse qui rend ses mots et les batailles qu’ils sous-tendent, puissantes et percutantes. La dramaturge qui a décidé de déconstruire Henrik Ibsen après Shakespeare nous livre une maison de poupée fidèle à l’auteur norvégien. Cependant, celui-ci, dont les convictions féministes furent louées en son temps, résiste mal à ce que nous avons appris depuis sur le sexisme chronique, la dette sexuelle ou sur la culture du viol. Le patriarcat de la fin du 18e siècle méritait un ravalement, un rafraîchissement. Elsa Granat s’y emploie, armée de son sourire.
L’autrice et metteuse en scène ne répare pas, ne colmate pas. En respectant l’auteur, elle secoue et bouscule son texte. Et le public avec. C’est joyeux, jeune et dynamique. Et parce qu’elle n’écrit qu’avec le sourire, la pièce est réjouissante. En imaginant la vie de Nora après son départ, jusqu’à sa fin de vie en Ehpad, Granat innove avec audace. L’institution désuète, mais éternelle du mariage, subit une nouvelle alchimie.
Le malheur de Nora et de ses enfants abandonnés nous saute aux yeux. Elle n’aura pu s’échapper du patriarcat sexiste et misogyne sans souffrances, une liberté si chère payée. Le final émouvant et à l’allure d’une symphonie collective nous invite à revendiquer une nouvelle économie sexuelle. Granat déconstruit ET affirme un nouveau destin, une nouvelle utopie. Aujourd’hui, comme une suite à Ibsen, s’impose à l’actuelle génération de recalibrer le rôle du mari, le rôle de l’épouse.
Pièce novatrice et foutraque, Nora Nora Nora consiste en un grand spectacle. Le public rit beaucoup et s’émerveille de chaque motif créatif. Les comédiens sortis de la même promotion se connaissent bien. La pièce chorale profite de cet effet troupe. Chacun confirme son talent. Nommons-les en guise d’applaudissements : Lucile Roche Luc Roca, Maelys Certenais, Chloé Hollandre, applaudissements appuyés pour Victor Hugo Dos Santos Pereira, Hélen Clech et Antoine Chicaud. Finissons par signaler au lecteur que Elsa Granat et Laure Grisinger, qui a collaboré à la dramaturgie, ont inventé des motifs littéraires et théâtraux épatants. Le spectaculaire de surprise en surprise nous tient en haleine. Pour preuve le prologue désopilant, ou cette rencontre au plateau entre Nora jeune épouse et Nora cacochyme en Ehpad. L’ensemble bouleverse et fait rire…
… et fais penser autrement.
NORA, NORA, NORA ! DE L’INFLUENCE DES ÉPOUSES SUR LES CHEFS-D’ŒUVRE
d’après Une maison de poupée d’Henrik Ibsen ; au théâtre de la Tempête.
texte et mise en scène : Elsa Granat
jusqu’au 31 mars 2024 – du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h30
Salle Copi • Durée : estimée à 2h
Visuel : © Christophe Reynaud de Lage