Après son succès au OFF d’Avignon, Thomas le Douarec et sa troupe reviennent diffuser la joie et l’humour du Misanthrope dans la grande salle de l’Épée de bois de la Cartoucherie. Une rumeur voudrait que Molière lui-même ait envoyé un SMS à Thomas pour le féliciter ! Cult !
Après l’immense succès du Portrait de Dorian Gray (toujours à l’affiche du Ranelagh cette saison), Thomas Le Douarec prenait en 2019 tous les risques en créant une remarquable adaptation d’un chef-d’œuvre de la littérature russe, L’Idiot de Dostoïevski. Pour Avignon OFF 2022, il créait le Misanthrope de Molière. Jubilatoire, il déclenchait chaque soir une standing ovation pleine de bravo et de merci. Le bonheur revient au cœur de l’hiver.
Rappelons rapidement l’histoire du Misanthrope. Alceste, Le Misanthrope est par vertu (et par névrose) une personne entière. La vertu se transforme en catastrophe lorsque l’indispensable franchise l’oblige à vexer Oronte qui le poursuivra au tribunal. Le même Alceste est épris d’une femme, Célimène, une coquette. Chez Le Douarec, l’intrigue est actuelle, c’est là son génie et notre bonheur. Alceste et Célimène se rencontrent au 21ᵉ siècle, les soirées sont dansantes et arrosées. Les deux héros sont amants et l’érotisme viendra ainsi finir de pimenter ce cocktail.
Cependant, convaincu de l’indignité de celle qu’il aime (ou qu’il croit aimer ?), Alceste renonce à cet amour exclusif et absolu. Le couple idéal qu’il avait imaginé et qui devait le réconcilier avec le monde n’adviendra pas. Dépité, il se retire dans la solitude, donnant à sa misanthropie l’absolu qu’il n’aura pas atteint dans ses affaires amoureuses.
Molière raconte ici l’histoire d’un impossible. Le Douarec restitue le drôle et le sinistre à la fois. Il restitue le rire de cette comédie qui cache la tragédie de deux personnes égoïstes, deux amants sourds l’un à l’autre. Une chanson nostalgique de Claude Nougaro allumera le dernier feu.
Le Misanthrope est une pièce adorée du public et sans cesse réinventée par des metteurs en scène toujours plus audacieux. Cependant, moderniser Molière est souvent catastrophique, les compagnies tombant dans l’écueil malheureux de la parodie de la langue. Ici le rafraîchissement vient de la mise en scène. Molière et son esprit sont préservés. Et c’est tant mieux ! Le rythme accompagné parfois par une guitare est soutenu. La scénographie moderne se construit autour d’une grosse teuf dans un salon, stroboscope et ambiance rock avec des marquis androgynes.
Les comédiens sont formidables à défendre le versant comique de la pièce de Molière. Jean-Charles Chagachbanian est excellent en un Alceste puéril en quête d’absolu, un séducteur déçu. On s’attache à sa tendresse et à sa naïveté. Moment de grâce : ce tableau dans lequel Alceste habille sa maîtresse… La gracieuse Jeanne Pajon est une émouvante Célimène. Philippe Maynat défend certainement le personnage le plus complexe et confirme son talent en un Philinte accompli. Caroline Devisme construit une Arsinoé inoubliable. Et il y a Justine Vultaggio drolatique, Eliante. Jusqu’aux marquis (Valérian Béhar-Bonnet et Rémi Johnsen) tout n’est que brio. Et puis, il y a, last but not least, le rôle d’Oronte tenu par Le Douarec himself. Cet Oronte est jouissif, tout simplement hilarant. La scène du sonnet à elle seule fait déborder la salle d’un grondement de rires.
On rit sans pause de ces presque deux heures d’immense bonheur et de fidélité à Molière. À ne pas rater !