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« Le Culte du Freeze » de Arnaud Deprez/Cie Allongé et « S.T.U.C.K » de Mounia Nasangar sont au Plateau Hip Hop de la Villette

par Chloe Coppalle
23.01.2025

En 2025, le Plateau Hip Hop de la Villette affiche complet. Et il y a de quoi ! La soirée propose deux pièces chorégraphiques de diverses esthétiques : la breakdance avec Le Culte du Freeze de Arnaud Deprez, et le waacking avec S.T.U.C.K de la Cie Nassangar. Leur point commun ? Deux styles apparus aux États-Unis dans les années 1970. Un plateau bien pensé, un moyen de découvrir plus précisément le hip hop et de repartir ravi.e.s par l’énergie de la soirée !

Le Culte du Freeze, de Arnaud Deprez : le breakdance transformé en réflexion générale sur le corps.

 

En breakdance, le Freeze consiste à stopper un mouvement, comme s’il était sur pause. Cet arrêt sur image, Arnaud Deprez le pousse à son paroxysme en ralentissant tous les pas de sa chorégraphie. En imposant ce rythme lent, il permet d’aller chercher le mouvement le plus loin possible dans sa réalisation. Ce style nécessite une grande souplesse et une danse bien gaînée. Le chorégraphe nous propose une pièce technique et maîtrisée. D’ailleurs, la pièce commence par de la méditation afin d’assoir l’univers contemplatif et réflectif du spectacle. Les premiers pas sont inspirés des postures de Yoga. Le compositeur Linky Larson accompagne Arnaud Deprez, Alicia Anaïs Fuentes Sifuentes et Pacôme Présence​ avec une création musicale alternative, inspirée de sonorités minérales ponctuées de basses. Entre la méditation, la musique et l’encens, on est porté dans un monde en suspens.

 

 

Le rapport au culte se dessine dans ce décor. Tout d’abord par la suspension systématique des pas. Puis par l’univers bouddhique, l’encens, la méditation. Assis en tailleur, Arnaud Deprez rappelle un moment le Scribe accroupi, exposé au Louvre. Le scribe, c’est celui qui note les savoirs et les sciences. Amener le spectateur à penser le corps et la science à travers la danse est l’enjeu du Culte du Freeze. Positionnés sur des plateaux qui tournent, les danseurs dessinent des poses géométriques en s’auto-contemplant, comme s’ils étaient eux-mêmes des objets d’étude. La chorégraphie est une réflexion inspirée du dessin L’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci. L’Homme au monde est le résultat d’un calcul rationnel de temps et d’espace. En breakdance, connue pour son rythme dynamique, il est rare de voir une réflexion sur la structure mathématique et scientifique du corps, voire une danse contemplative. D’ordinaire, le break se regarde dans son ensemble : entourée, en battle, avec des danseurs nombreux. Ici, rien de tout ça. La pièce nous amène à découvrir le style autrement, dans un parti pris audacieux, à l’opposé du flow rapide et entraînant auquel on est habitué. Et pourtant, ça fonctionne ! Arnaud Deprez est allé chercher dans le freeze ce moment suspendu qui construit cette chorégraphie réflective. Par ses pas au sol, il a trouvé dans la break une danse terre à terre.

 

S.T.U.C.K de Mounia Nassangar : la reine du waacking nous emmène dans l’univers des luttes dansées.

 

Avec S.T.U.C.K, rien à voir ! La chorégraphie surprend dès le début. On ne comprend pas très bien ce qu’il se passe. En lien avec l’aspect populaire et street associé au hip hop, la pièce commence alors que l’entracte n’a pas encore fini. La lumière est allumée, tout le monde continue à discuter. Il faut se rendre compte que ça commence. Comme ouverture, Carla Parcianello se fait couper les cheveux par Serena Freira. On se dit quand même qu’il ne faudrait pas couper trop court si la danseuse veut encore avoir des cheveux au bout de trois représentations. Finalement, on rase tout ! Le public est stupéfait, les plus jeunes n’y croient pas leurs yeux, mais la salle salue le courage ! Et puis, d’un coup, Suzanne Degennaro fait démarrer la pièce avec un mouvement sec dans une lumière rouge. On y est !

 

La pièce est construite sur un style de hip hop appelé le waacking, né à Los Angeles dans les années 1970. Il se caractérise par des mouvements de bras dansés au-dessus et autour de la tête, dans des rythmes fluides et rapides. Le waacking engage principalement le haut du corps, quand le voguing, auquel il est souvent associé et qui apparaîtra plus tard à New York, implique l’entièreté du corps. Tous les deux nés dans les clubs LGBT et afro-américains, le premier trouve ses inspirations dans le funk et le disco quand le second s’inspire de la démarche des mannequins sur les podiums. Mais l’un comme l’autre, ils sont des moyens d’expression. C’est cette dimension revendicative que met en avant la chorégraphe Mounia Nassangar. Stuck veut dire coincé en anglais, car le waacking est né d’un besoin d’expression en réponse à l’oppression et la marginalisation des populations par une Amérique puritaine blanche et hétérosexuelle.

 

S.T.U.C.K nous emmène en effet dans l’univers des clubs. Les néons, la musique, le look de Carla Parcianello et les jeux d’ombres chinoises dans le fond de la scène évoquent l’univers disco de ces années. Niveau look, on note aussi la super veste en jean coupée LEVI’s de Suzanne Degennaro et le style très féminin, mi-disco/mi-R’n’B de Nicole Kufeld ! Niveau danse, les filles nous emmènent dans une chorégraphie rythmée et dynamique, dont on profite des enchaînements sans voir le temps passer. Certains pas rappellent le krump (autre danse revendicative, également née à Los Angeles dans les milieux populaires), comme des intimidations avec les mains, des expressions parfois plus agressives, ou des gestes saccadés. Le début ajoutait quelques narrations en anglais par Oumrata Konan pour rappeler les origines du style. La dimension revendicative raconte à la fois l’histoire de la danse et celle qui nous est présentée sur scène. Un stand ovation méritée pour les cinq danseuses applaudies trois fois par un public conquis !

 

La programmation hip hop de la Villette a la particularité d’être didactique et de proposer des choix de marque pour un public amateur qui peut vite devenir connaisseur. Une soirée comme celle-ci était l’occasion de découvrir deux styles de danse. Cette sélection particulièrement hétéroclite en matière de hip-hop permet surtout à tous et à toutes de profiter de belles propositions !

Image de présentation : STUCK – Mounia Nassangar ©Le-Kabuki
Le Culte du Freeze – Arnaud Deprez © Mullor Abé