Un monde sérieux, très sérieux, dont le rire est banni : tel est l’univers auquel sont confrontées les clowns Pssitt et Pchutt inventées par Clément Poirėe et incarnées par Ludmila Dabo et Catherine Vinatier au Théâtre de la Tempête.
Pssitt et Pchutt sont des passagères clandestines d’un monde pour le moins hostile, où chacun et chacune se doit d’être sérieux.se. Si elles ont à cœur de cacher leur attachement à l’humour, celui-ci, bien sûr, éclate à tout moment.
Le Cabaret néopathétique de Clément Poirée plonge d’emblée son public dans un univers terne et gris, au sens premier du terme : les spectateurs et spectatrices sont invité.es à revêtir des tenues de cette couleur insipide, manquant cruellement de chaleur. Iels prennent ensuite place sur des sièges noir et blanc, éparpillés entre scène et salle, comme dans un véritable cabaret. Et comme dans un véritable cabaret, plus que le spectacle ne détruira le quatrième mur, il postulera bien plutôt son inexistence. Pssitt et Pchutt interpelleront le public toute la soirée et lui proposeront d’entonner avec elles une chanson écrite pour l’occasion, « Tout va bien ».
Le spectacle jouera abondamment des codes, sonores et visuels, du cabaret : chansons populaires, lumières rouges et douches à gogo, robes à paillettes de chanteuses d’un soir. Mais, bien entendu, ces mêmes éléments seront détournés, les tubes musicaux étant parodiés et le rouge tirant vers le vermillon. Autres attendus déjoués, ceux du cirque. Les deux clowns se moquent en effet des numéros connus, sinon trop connus, comme le pistolet à haut ou le siège retiré au moment où le clown blanc cherche à s’asseoir. Mais, ici, ces incontournables du cirque échouent et n’entraînent qu’un rire grinçant.
Car ce Cabaret néopathétique n’est pas un simple jeu avec l’univers du cirque et du cabaret. Il aborde, derrière des airs de pas-y-toucher, d’importantes questions de société – le féminicide et les guerres, pour ne parler que d’eux – qui font rire plutôt jaune. En effet, le comique reste présent, bien présent, mais nous offre le visage de l’humour noir et de la farce inquiétante.
C’est alors d’autres références que celles de la culture populaire qui sont convoquées : les atermoiements des jeunes femmes de Tchekhov côtoient le manque de volonté de Bartleby ou l’absurde de Kafka. Ces passages sont mis en scène de façon davantage traditionnelle, avec un quatrième mur restauré. L’entrelacement des deux types d’allusions entraîne une modification régulière de la posture des spectateur.rices, entre retrait et participation.
Il n’empêche. Ce passage d’un univers à l’autre ne parvient pas à lutter contre un sentiment de distension du temps. Le Cabaret dure trois heures et l’on sent chacune d’elles. Si aucun élément formel n’est à incriminer, il semble qu’il y ait tout simplement une difficulté, dans ce dispositif, à tenir la longueur.
Cabaret néopathétique, au Théâtre de la Tempête jusqu’au 28 septembre.
Visuel : © Fanchon Bibiche