Joséphine, ange et démon

L’artiste en général, l’artiste lyrique en particulier, l’idole des jeunes et de ceux qui le sont moins, réduits à l’état de souris dans ce récit animalier kafkaïen sans morale ni moralité est symbolisé par une souris chanteuse ou, plus exactement, siffleuse ayant un ascendant sur une foule de rongeurs. La même année que le manifeste du surréalisme, quatre ans avant la naissance de Mickey Mouse, inspiré sans doute en partie par les contes d’Hoffmann (Casse-noisette et le roi des souris), les fables de La Fontaine (Le Vieux chat et la jeune souris, Le Cochet, le chat et le souriceau, Les Souris et le chat-huant) et d’Ésope (L’Assemblée des souris), la nouvelle reste polysémique.

Le metteur en scène et fondateur de ce remarquable espace culturel de Bagnolet aujourd’hui menacé de disparition résume la problématique : « C’est à une énigmatique et savoureuse interrogation sur la place de l’artiste et sur sa relation au peuple que nous invite Kafka à travers ce récit qui revêt – forcément – une dimension testamentaire ». Le texte, traduit en français par Olivier Mannoni pour les éditions Payot, est dit par cœur par la comédienne à l’éloquence idéale une heure durant, dans un silence ponctué de virgules musicales. Les tics sont calqués sur les comportements des souriceaux. Pour ce qui est de l’intention, le mieux est de citer Kafka : « le chant de Joséphine ne représente rien d’extraordinaire (…) d’ailleurs, est-ce seulement du chant ? (…) n’est-ce pas tout de même plutôt un simple sifflement ? (…) nous sifflons tous, mais il ne vient à l’idée de personne de faire passer cela pour de l’art ».

Opium du peuple

Kafka examine et critique avec ironie le contrat tacite qui lie l’artiste à son public. « Qu’est-ce qui incite le peuple à se mettre ainsi en peine pour Joséphine ? (…) Son chant est censé nous sauver d’une grave situation politique ou économique, rien de moins (…) Joséphine s’affirme, ce néant quant à la voix, ce néant quant à la performance s’affirme et se fraye un chemin jusqu’à nous, y penser fait du bien ». Pour donner corps à la narratrice, Hebette a imaginé une fille du peuple, quasiment une Cendrillon ou une Cosette, « mi-femme mi-souris, rappelant peut-être par son maquillage et ses outrances l’égérie des cabarets dada Valeska Gert ».

Les décors conçus par le metteur et son actrice, enrichis de dessins de Jean-Marc Musial, sont néanmoins plus proches de l’expressionnisme que de Dada. Les costumes d’Alice Touvet, les lumières, les trames projetées à même la peau, le corps ou le visage par Guillaume Junot, le maquillage, surtout, sans parler des prothèses élargissant et décollant les oreilles de Laure Wolf, œuvre de Julie Poulain, contribuent à noircir un tableau, du coup, ni rose ni féerique. Au final, la protagoniste n’a rien de Minnie la petite souris chère à Walt Disney ou à Henri Salvador. Les dessins projetés en diapositives ou au moyen de la vidéo représenteraient plutôt la Maus d’Art Spiegelman.