Tiago Rodrigues revient à son premier amour, sa première pièce de théâtre, écrite et créée à Lisbonne en 2007, Chœur des amants. Un bijou de finesse, tant dans le texte que dans la mise en scène, qui montre que, sinon tout, beaucoup de son art était déjà là. Dans cette version retravaillée version 2025 qu’il présente au Théâtre des Bouffes du Nord puis en tournée, les amants racontent leur histoire et ce qui leur est arrivé.
Le sol est tapissé de confettis blancs, comme s’il n’y avait que quelques flocons de neige et que le temps était suspendu. Iels sont là, lui et elle, côte à côte. Leurs voix vont de concert, racontent la même chose, les mêmes souvenirs. Elles se superposent à la différence d’un je qui devient un tu, un elle ou un il en fonction des événements racontés, et d’un litige droite/gauche. Elle a du mal avec sa droite et sa gauche. Il fait nuit. Iels sont dans le lit et elle étouffe. Elle sent son souffle se couper. Elle voit le temps s’évanouir, lui filer entre les bronches. Leur diction, polyphonique, s’accélère. Aller à l’hôpital, essayer de ne pas paniquer, aller vite. Avoir encore le temps de parler de concert.
C’est par ce procédé, magique, de la diction de concert que Tiago Rodrigues nous balade dans ce couple auquel on s’attache immédiatement. L’articulation du ton de leurs voix, la complémentarité des mouvements de leurs mains et de leurs phrases qu’iels finissent l’un l’autre, l’impression qu’iels se regardent alors qu’iels sont à côté, le récit d’un quotidien banal fait de café, de plaintes, de films sur le canapé, de pulls qui sent la cigarette… Tout cela rend la symbiose palpable et nous rend perceptible le lien, l’amour, et la mort qui s’immisce quand les récits dissonent. Quand elle et lui ne sont plus ensemble, que leur temps, ensemble, pourrait être amputé, leurs voix résonnent seules, et notre souffle se fait court, car le sien à elle s’évapore et que l’on imagine que le sien à lui, si elle devait mourir, viendrait à se couper.
Tiago Rodrigues joue avec nous et ses acteurices, maniant les rythmes jusqu’à distordre le temps et à créer un espace infini où peut se nicher une vie de couple en 55 minutes. Comme dans cet instant, suspendu, où assis et se jetant des regards, buvant un thé, écoutant de la musique, iels se parlent sans rien se dire. C’est impossible à expliquer, simplement magnifiquement habité par David Geselson et Alma Palacios.
En revenant à cette pièce, Tiago Rodrigues a dit vouloir interroger {ses} personnages sur leur vécu comme pour s’interroger lui-même sur le vécu de son théâtre depuis qu’il a commencé. Les personnages sont-ils encore amoureux ? Et lui, aime et aimera-t-il encore, toujours le théâtre ? Lui seul pourra y répondre pour lui-même, mais en tant que public ce qu’on l’on peut dire c’est que ces deux personnages nous prouvent que le metteur en scène à su créer et imposer sa patte – des textes forts et poétiques, une mise en scène en ligne douce, une obsession pour les liens et le rapport au temps – au point de devenir une machine à tubes candidats pour entrer au répertoire des classiques contemporains.
Dans cette deuxième partie, où les amants égrènent leurs vies, les années qui passent, les hauts et les bas, les remises en question, le regard de et sur leur fille, iels ne nous résument pas mais nous citent des morceaux de ces vies entremêlées. Ces souvenirs partagés, communs disent l’amour qui les a portés et traversés. Il, elle et leur histoire se muent en fable sur le temps, l’aspiration à la réinvention et les changements qui prennent pourtant tellement de temps. Une fable qui nous dit « on a le temps » et qui le prouve puisque dans le réel, dans l’instant partagé, elle nous suspend.
A Paris au Théâtre des Bouffes du Nord les vendredi 26 septembre et samedi 27 septembre à 21h, puis en tournée en 2026 dans toutes la France. Toutes les informations ici.
© Filipe Ferreira