La vitalité de l’infatigable Marina Viotti dans un récital Haendel au Théâtre des Champs-Élysées

Après Vivaldi, Haendel

Vous avez dit éclectisme ? La jeune Marina Viotti ne cesse de surprendre s’essayant à toute sorte de répertoires comme si elle cherchait celui qui lui conviendrait le mieux. Et comme elle est de ces artistes réellement polyvalents (et doués), c’est avec un grand plaisir que nous l’avons admirée dans Vivaldi sur cette même scène, que nous avons écouté son dernier opus consacré aux airs de Mezzo dans Mozart, ou que nous avons adoré sa Cenerentola il y a quelques mois.

Incontestablement son art du bel canto est extrêmement séduisant, autant dans le naturel de sa diction que dans la richesse de ses ornementations, les couleurs dont elle pare la moindre vocalise, le moindre trille, l’expressivité impressionnante de son chant, en particulier dans le répertoire italien.

Marina Viotti, fille et sœur de chef d’orchestre, a aussi le sens de la scène et du sans-faute dans la présentation de son « show » : se ménageant évidemment pour assurer aussi le reste de ses nombreux engagements actuels, elle choisit soigneusement et avec beaucoup d’intelligence musicale, son programme.

Des oratorios aux opéras seria

Haendel est un compositeur prolifique et offrir un bouquet de ses arias les plus fameuses n’est pas facile. Marina Viotti joue sur les contrastes d’une œuvre complexe et nous propose en première partie des extraits des oratorios en anglais en commençant par le « Jordan, Jordan » (Jourdain, Jourdain) de cette Esther, considérée souvent comme le premier oratorio anglais et créé en 1732 au King’s Theatre de Londres et qui sera suivi par Deborah en 1733. Marina Viotti choisit alors cet hymne au courage « All Danger disdaining » (Méprisant tout danger) illustrant ces deux récits bibliques par sa tenue sobre et discrète, longue robe bleue avec voile sur la tête.

Sur le plan du chant, apprécie la beauté de la diction et la clarté du timbre, la solidité du grave et du medium et les belles envolées vers les aigus mais, par moment, un peu de raideur trahit un répertoire nouveau et complexe à interpréter où la mezzo ne parvient pas toujours totalement à caractériser les rôles.

Elle poursuit cette passionnante exploration avec « Defend her, Heaven » (Défend-la, O ciel), court extrait d’un oratorio beaucoup plus tardif, Theodora, créé en 1750 à Covent Garden. Puis remontant le temps des oratorios de la période Covent Garden, Marina Viotti nous propose  « Fair virtue » (Juste vertu) , air extrait du rare Alexander Balus, créé en 1748, pour finir cette première partie avec « Where shall I fly » (Où puis-je fuir ?), air extrait du drame musical Hercules, créé en 1745 et qui s’éloigne des thèmes bibliques pour s’inspirer des tragédies de Sophocle et d’Ovide.

Et c’est d’ailleurs dans ce dernier air, plus « opératique » qu’elle se montre la plus convaincante et la plus impressionnante sur le plan vocal avec cette expression de la colère, du désespoir et de la peine infinie de Dejanira apprenant qu’elle a été la cause involontaire de la mort atroce de son époux bien-aimé Hercule. On sent alors la tragédienne s’investir totalement dans ce personnage haut en couleur de l’un des plus beaux « dramma » baroques.

Et ces qualités d’incarnation sont largement confirmées dans la deuxième partie, où plus que jamais la belle technique et le timbre opulent de Marina Viotti (qui a troqué sa robe contre un pantalon), sont mis au service d’un rôle. L’aria de Serse, « Crude furie degli orridi abissi » (sauvages furies des abîmes hideux), dans l’un des derniers opéras de Haendel est ainsi magistralement exécuté avec toute la sensibilité humaine que Marina Viotti sait transmettre tout en offrant un chant d’une absolue probité stylistique.

Et les deux airs suivants remportent la plus grande ovation à l’applaudimètre et suscitent une intense émotion perceptible dans le public, « Verdi prati » (vertes prairies), air de Ruggiero dans Alcina et « Dopo notte, atra e funesta » ( après cette noire et funeste nuit), air de joie et d’allégresse d’Ariodante lors du final.  Ces deux opéras seria qui datent tous deux de 1735 comptent parmi les plus célèbres de Haendel.

Et la tension retombe un peu, au profit d’une émotion pure dans la douceur d’« Ombra cara » (Ombre chérie) l’air de Radamisto, le premier opéra « italien » de Haendel, créé à Londres en 1720 au King’s Theater pour inaugurer l’entreprise de la Royal Academy of Music dont l’objectif était la promotion de l’opéra italien en Angleterre.

De références prestigieuses, avec un tel programme, Marina Viotti n’en manque pas puisqu’il a été illustré par les plus grandes mezzos du baroque de Janet Baker à Joyce DiDonato, mais aussi par nombre de contre-ténors dont Philippe Jaroussky.

On ne peut que l’encourager à approfondir ce répertoire qui convient très bien à sa vocalité.

Concertos grosso et bis

L’orchestre des Musiciens du Louvre est également très dynamique sous la baguette parfois un peu routinière de Marc Minkovski dont la formation connait parfaitement son Haendel et accompagne brillamment la chanteuse tout en offrant des parties orchestrales d’une grande richesse, les fameux « concerti grossi » de Haendel, ces dialogues entre orchestre et plusieurs solistes (trois violonistes, un flûtiste par exemple), forme musicale qui préfigure le concerto classique. Avec trois mouvements de tempi très variés et une durée globale assez courte, ces concerti possèdent d’immenses qualités orchestrales que Minkowski sait valoriser notamment dans les échanges entre instruments. Avec 4 compositions de l’opus 3, il nous offre un très bel aperçu (trois en mode majeur, un en mode mineur) de ces richesses musicales du baroque qui enrichissent très agréablement l’ensemble du programme de qualité servi ce soir.

Lequel programme, tradition et ovation obligent, est agrémentés de « bis » assez dépareillés : le duo très dynamique de Daphné et Appolon où l’on voit bondir sur la scène la basse Christian Zaremba puis une « surprise » de Minkovski qui s’avère être tout simplement une orchestration endiablée du célèbre « Gimme! Gimme! Gimme! »  du groupe suédois Abba et enfin une reprise de Vivaldi pour clore une soirée riche en illustration baroque.