Il y a des lieux qui gardent dans leurs murs la mémoire des corps. Aux Belles Poules, ancienne maison close des années folles et aujourd’hui classée monument historique, le passé n’est jamais loin. Sous les mosaïques Art déco et les courbes lascives des céramiques, l’histoire pèse autant qu’elle inspire. Vendredi soir, c’est ici que j’ai assisté à La Scandaleuse, cabaret incandescent qui fait de la subversion une fête.
Les Belles Poules ne sont pas un décor anodin. Dans ces salons autrefois réservés aux plaisirs tarifés, le corps féminin fut autant désiré qu’exploité. Choisir ce cadre pour un cabaret féministe, c’est assumer la charge historique et la renverser. Là où l’on voulait contraindre et marchander, Mara de Nudée et ses complices libèrent, détournent, réinventent. Ici, l’érotisme n’est pas consommation mais affirmation joyeuse, insolente et poétique.
Le spectacle est une mosaïque de chansons, de numéros burlesques et de confidences scéniques, mené sans maîtresse de cérémonie attitrée. Les artistes cassent le quatrième mur, s’invitent à nos tables, nous happent dans leur ronde sensuelle et goguenarde.
Mara de Nudée, instigatrice du projet, redonne vie à des figures flamboyantes, de Mata Hari à Marlene Dietrich. Effeuilleuse burlesque depuis 17 ans, formée à la danse classique, comédienne et chanteuse, elle a remporté en 2018 le prix Best Small Group au Burlesque Hall of Fame de Las Vegas. Sur scène, elle conjugue une technique impeccable à une intensité magnétique. Chaque geste semble écrit dans la dentelle : un art qui puise à la fois dans l’âge d’or d’Hollywood et dans les cabarets clandestins. Chez elle, l’effeuillage devient un poème qui frôle l’interdit sans jamais se départir d’une élégance souveraine.
Maud’Amour, artiste pluridisciplinaire, a brillé dans le Fashion Freak Show de Jean Paul Gaultier aux Folies Bergère et dirige aujourd’hui la Direction artistique du Boudoir des Muses, cabaret féminin et audacieux. Dans La Scandaleuse, elle explore toutes les contradictions : femme décadente, amante fragile, diva souveraine. Sa voix puissante se marie à un jeu de scène qui oscille entre provocation et tendresse. Dans son effeuillage, elle met en avant une sensualité assumée, sans concession, où l’ironie flirte avec l’émotion. Elle revendique d’être « toujours trop ou pas assez » et transforme cet excès en arme de liberté.
Sattyna, enfin, souffle un vent d’érotisme insolent. Championne de gymnastique rythmique dans une autre vie, elle met sa souplesse et sa précision au service de numéros sulfureux où elle détourne les clichés avec humour. Tantôt serveuse virevoltante dans la salle clin d’œil aux domestiques invisibilisées et racisées des bordels tantôt icône disco sous une pluie de lumière et une boule à facettes, elle mêle grâce et subversion. Sattyna aime jouer avec les frontières : du classique au pop, du cabaret au sport, elle plie les codes du patriarcat pour mieux les faire éclater.
Au fil des deux heures de spectacle, chansons réalistes, effeuillages théâtralisés et clins d’œil humoristiques s’enchaînent dans une ivresse collective. La salle, comble, répond avec ferveur : rires éclatants, applaudissements nourris, regards suspendus. On ressort de La Scandaleuse à la fois électrisé et bouleversé, comme si la joie avait trouvé sa forme la plus insoumise.
La Scandaleuse se joue Aux Belles Poules, 32 rue Blondel, Paris 2e.
Prochaines représentations :
À partir de décembre, le cabaret passera à une date par soir (calendrier à venir).
Visuel : ©Eve Saint Ramon pour La Scandaleuse – Aux Belles Poules