« J’ai dansé tout l’automne »
Tout commence au pied d’un escalier « qui ne s’éteint pas ». Un majestueux escalier double qui mène à un balcon sur lequel apparaissent les premières créatures de la soirée. Nous voyons la cour se présenter à nous, vêtue des capes et cols immenses en matière doudoune que Romain Brau avait cousus pour Tumulus, la pièce qui posa la première pierre de la relation entre le chorégraphe et danseur François Chaignaud et le patron de l’ensemble Les Cris de Paris, Geoffroy Jourdain. Ils et elles restent en haut pour l’instant, en bons princes et bonnes princesses, ils et elles plient un genou, mettent un bras à l’équerre, tournent un peu, avant de commencer une descente de marche en rang très serré et en chant puissant datant, on l’imagine, de la Renaissance. Puis, de fil en talon aiguille, nous voici assis.e.s dans un cabaret, au pied d’un podium sur lequel tous et toutes vont défiler, performer, chanter.
« Quand je lève la jambe, tu as le cœur qui flambe »
Le portrait Chaignaud a été l’occasion de révéler sa façon de travailler par sédimentation. Il a, depuis une vingtaine d’années maintenant, chamboulé les perceptions de la danse contemporaine en croisant tout le temps les mondes, les pointes dans Dub Love, le butô de Gold Shower, le « codex de Trujillo » pour la dernière création, Ultimo Helecho, et plus encore. Il nous apparaît en Franny from the block, haute perruque choucroutée sur la tête, tout camouflé d’un déshabillé rose mousseux, à ses côtés, Geoffroy Jourdain, devenu Mademoiselle Crapotte, une vieille fille. Il se découvre, en académique rouge de style boutique spécialisée à Pigalle, avec aux pieds des pointes de la même couleur. Et le voici qui s’approche de nous, toujours juché, en chantant la très appropriée Le Jeu de quille de Zizi Jeammaire, qui va comme un gant à ce danseur qui occupe la scène comme personne d’autre. Ce soir, il n’est pas LA star, il laisse la place à la revue des Tumurels, en vieux français, « tomber à la renverse », c’est-à-dire celles et ceux qui acceptent de tomber à la renverse, de danser donc.
« Mérite que j’t’appellerais : “Mi Amor” (pah, pah), j’ai du temps pour un p’tit corps à corps (pah, pah). »
De Kylie Minogue à Sexy Sushi, en passant par France Gall revisitée, ou encore le bijou de la soirée, MAMI WATA par Gazo & Tiakola, la troupe passe en revue des chansons pop en les faisant sonner lyriques. L’entrechoquement des esthétiques est délicieux à souhait. On a vu un costume maison aux volets ouverts, et des corps pailletés se découvrir pour s’autoriser à chanter avec encore plus de puissance L’Air du vent de Pocahontas, par exemple. Simon Bailly, Mario Barrantes-Espinoza, François Chaignaud, Florence Gengoul, Myriam Jarmache, Geoffroy Jourdain, Evann Loget-Raymond, Marie Picaut, Alan Picol, Antoine Roux-Briffaud, Vivien Simon, Maryfé Singy, Ryan Veillet, Aure Wachter et Daniel Wendler réussissent le pari de nous faire dériver joyeusement dans cet univers qui met à égalité la danse et le chant, mais toujours avec les yeux armés des plus longs faux cils du monde. Presque à la fin du spectacle, Chaignaud a dit, « ce portrait, c’était un zoom sur la dimension collaborative, fraternelle et sororale de nos métiers ». Cette Revue des Tumurels en est l’exemple parfait, aussi parce qu’elle prouve que même au Festival d’Automne, il faut faire avec les moyens du bord et faire le show deux fois, lumières allumées, dans une toute petite jauge, et que cela n’est possible que dans la vision étendue que Chaignaud a donnée à son magnifique portrait.
Le Festival d’Automne a donc fermé ses portes, ou presque, puisque Les Petites Filles modernes (titre provisoire) de Pommerat joue jusqu’au 24 janvier aux Amandiers. L’année prochaine, on le sait déjà, Bouchra Ouizguen aura un portrait et le chouchou Alberto Cortès fera une création.