La reflexion sur l’héritage de nos « Racines mêlées » de Jenny Briffa
par Chloe Coppalle29.09.2025
Ce week-end aux Zébrures d’Automne était programmé Racines mêlées de Jenny Braffa. Un conte scientifique qui met à l’honneur l’héritage des femmes sur plusieurs générations.
C’est l’histoire de Jannick, botaniste mauricienne célèbre à la recherche d’une plante calédonienne qui serait le seul remède contre une maladie orpheline. Elle l’a découvert dans les publications scientifiques de l’expédition de James Cook, et espère en retrouver la trace. Deux époques, deux enjeux : la première est le XXème siècle de Jannick, la seconde sont les années 1770 de Cook. Pour elle, un enjeu médical vital, pour l’autre, une volonté de tout découvrir du monde. La pièce fait des allers-retours bien construits entre ces deux temporalités qui se dialoguent et se répondent sans le savoir, donnant au spectateur un avantage omniscient sur les personnages. La dimension scientifique est le fil rouge de l’intrigue, du point de départ narratif aux questionnements historiques sur la légitimité des expéditions européennes.
Pour raconter cette histoire en deux temps, une scénographie bien construite qui s’articule aux grès des changements : tantôt arbres de la forêt, bibliothèques pour une institutrice, cour du Roi de France, elle paraît tantôt rugueuse et dure, tantôt légère et douce. Un plateau qui fait penser à une installation d’art contemporain qui répond parfaitement aux attentes du récit. L’adaptation efficace du plateau n’est pas la seule magie de Racines mêlées, pensée comme un conte. Autour de Jannick et de son acolyte Kuma, neveu du grand Chef qui l’a autorisé à explorer ses terres, il y a les trois lutins. Ils peuvent paraître ésotériques pour certains, mais la pièce dit joliment qu’ils sont peut-être la pièce manquante du puzzle de Cook pour comprendre le monde. Ils représentent le respect que Jannick doit à la forêt, mais aussi supériorité naturelle sur la botaniste. Gardienne de ses secrets, Jannick devra se mettre à sa hauteur avec humilité pour trouver la plante. Les lutins participent à l’écriture comique de la pièce et construisent sa force onirique.
L’univers du conte est mis en relation avec la rationalité de la dimension historique qui porte la pièce. On est transporté dans le passé à travers les expéditions de Cook, de Bougainville et de Laperousse, à une époque pré-coloniale pour la Nouvelle-Calédonie qui sera une possession française sous Napoléon III. Racines mêlées imagine les premiers mouillages, la rudesse de Cook face au respect du Chef kanak. Mais la force du texte est sa mise en lumière de Jeanne Barret, scientifique qui s’est déguisée en homme pour participer à l’expédition. En effet : et les femmes dans tout ça ? Il est connu que les femmes scientifiques, artistes, médecins ont été mises au banc des histoires des disciplines. Une fois cela dit, qui les raconte ? La force de la pièce est ce portrait dans toute sa dimension : professionnel, scientifique, social, marital et surtout émotionnel : qui se pose la question de ce que pouvaient ressentir les femmes de 1770 ? De voir leur mari ou le père de leurs enfants, partir plusieurs mois ou années pour un voyage ? D’être écartée d’une grande majorité de professions, dont les scientifiques ? Racines mêlées réhabilite les femmes dans toute leur entièreté.
Il aurait peut-être été intéressant de resserrer la durée du spectacle en recentrant la narration sur un seul fil rouge et en explorant davantage l’univers du conte, particulièrement bien pensé pour raconter cette époque.
© Eric Dell’Erba
Production
Coproductions Compagnie Les Exîlés, ADCK centre culturel Tjibaou, ADAMIC – Le Rex
Avec le soutien du Fonds SACD/ministère de la Culture Grandes Formes Théâtrales, du ministère des Outre-mer, du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, de la Mission aux affaires culturelles de la Nouvelle-Calédonie, de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, de la Province Nord de la Nouvelle-Calédonie
Avec le soutien de nos mécènes via l’Adamic et nos partenaires privés
Accueil en partenariat avec l’Opéra de Limoges
Distribution
Texte Jenny Briffa
Traduction Français / Nyêlayu Scholastique Boiguivie
Mise en scène Sophie Bezard
Conception scénographie Raymond Sarti
Réalisation scénographie Lucile Bodin et Patricia Bladinières
Conception et réalisation accessoires Lucile Bodin
Création sonore & compositions David Le Roy
Création lumières Laurent Lange
Création costumes Gauthier Rigoulot
Assistante à la mise en scène Manon Dunoyer
Avec Laurence Bolé, Manon Dunoyer, Pablo Le Magoarou, Lucie Le Renard, Stéphane Piochaud, Gauthier Rigoulot, Magali Song, Simane Wenethem
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