La pièce incontournable du Moman

Une mère, un fils, une vie

Un rideau abandonné sur scène, le théâtre dans le théâtre. Derrière ce rideau, tout commence par des voix, celle si reconnaissable d’Hervé Pierre et celle tout aussi prégnante et pénétrante de Clotilde Mollet. Une musique de dessin animé d’enfant ponctue le dialogue. Une maman, Moman, discute et se querelle avec son fils. Dans leur langue où il y a des pijmassa et des jte ferait dire et des faut s’adurcir. Dans une lalalangue qui signe l’intime et le secret de ce qui circule entre une mère et son fils, un amour qui déborde avec pudeur. Moman veut avoir un toit sur la tête pour se protéger de tout ou presque. Elle a peur de se retrouver sans abri avec Louistiti, son fils unique et préféré, peur d’être expulsée à cause des loyers pas payés. Louistiti veut comprendre son origine, son destin. Il interroge. Il explore l’énigme de chaque enfant, cette énigme même que l’on oublie vite une fois adulte. Pourquoi suis-je au monde ? Pourquoi moi et pas un autre ? M’aurait-on aimé aussi si j’avais été un autre ? M’aime-t-on sans condition ? Ou bien y a-t-il des conditions, des circonstances à ma légitimité ? Si ce n’est pas moi qui viens qui sera là alors ?

La pièce pose la question enfantine et pousse une conclusion sous forme d’une morale  de vie : la guerre, c’est pas aller à la campagne, c’est pas jouer au cache-cache et il nous faut s’adurcir, être en vie et transmettre. C’est tout. 

Une œuvre exaltée par un duo inoubliable

Jean-Claude Grumberg est un auteur majeur du théâtre contemporain. Sa création et sa vie sont habitées par le souvenir de la Seconde Guerre mondiale. Né en 1939, il connait l’Occupation. Son père est assassiné dans les camps d’extermination nazis. Son œuvre dramatique fait écho à la Shoah.

Moman pourquoi les méchants sont méchants , son autobiographie en palimpseste, c’est la vie qui va entre une mère et son fils, c’est une enfance sans père, c’est une histoire pleine de fantômes. La pièce parle de la résilience en mots et donc en marche.

Il fallait aux comédiens savoir restituer l’amour de la mère et de la vie, l’humour de l’auteur et en même temps la souffrance et les deuils. Hervé Pierre ancien sociétaire de la Comédie-Française est génial.  Immense acteur, il connait la fortune des grands rôles. Rappelons-nous : Il fut Burrhus dans le formidable Britannicus de Braunschweig.  Il y était le miroir grossissant de Néron. Il fut aussi le marchand Hatch dans La Mer de Bond. C’est lui qui vendait ce fameux gant bicolore qui déclenchait le rire du public. Il était le symbole du hors champ inquiétant, mais prometteur. À chaque fois, il était notre représentant sur scène, le garant de notre point de vue.

Dans Moman, une fois encore, Hervé Pierre nous accueille dans la peau de son personnage. Il joue la mère, et nous sommes une mère. Il interprète ensuite le fils et nous serons tous des fils. Sa partenaire multiplie les moments de grâce. Elle participe avec brio à la valse des sentiments. Elle magnifie l’appariement. Elle est la deuxième élégance tendre de la pièce.  Clotilde Mollet est merveilleuse d’émotion et de second degré. Le duo est remarquable.  Ces deux-là créé une lecture tendre, souriante, drôle et intelligente, car pleine d’humilité du texte de Grumberg.

Six mois après le pogrom du 7 octobre, la pièce ne saura apporter réponse à la question pourquoi les méchants sont méchants, cependant qu’un chaleureux optimiste pour l’humanité se réveillera en nous. Merci.