La Moisson de la Mousson d’été
par Julia Wahl27.08.2024
Située à Pont-à-Mousson, dans une abbaye datant du XVIIIe siècle, l’Abbaye des Prémontrés, la Mousson d’été fête sa vingt-neuvième édition. Ce festival consacré à l’écriture dramatique met à l’honneur des auteur.rices venu.es d’Europe et d’ailleurs.
« Transmettre ce que l’art peut apporter à nos vies » – Véronique Bellegarde
La Mousson d’été, c’est avant tout l’occasion de découvrir des auteurs et autrices de théâtre contemporain : grâce à un comité de lecture engagé et à un réseau de multiples partenariats, dont la Maison Antoine Vitez, le festival propose à son public des textes francophones et étrangers inédits, traduits pour l’occasion. Au fil des ans, les relations avec des institutions sœurs se sont développées : pour la deuxième année consécutive, la Mousson d’été travaille avec le festival « Lis-moi tout » du Rideau de Bruxelles, mais aussi avec des Centres dramatiques nationaux ou avec l’Union européenne par le biais du programme « Europe créative ».
« Un marathon pour les corps et les esprits » – Julie Pilod
Cette année, les auteurs et autrices scandinaves sont à l’honneur, avec bien entendu Jon Fosse (Ces Yeux et Là-bas) ou Sara Stridberg (Vertigo), mais aussi les autrices Magne van den Berg (Dans le Lit de mon père (circonstances obligent)) et Monica Iskstuen (Et au-delà rien n’est sûr).
D’autres auteurs et autrices sont toutefois présent.es, comme Mathilde Aurier (65 rue d’Aubagne), Sylvain Septours (Les Poules à chair), Gaëlle Axelbrun (Loin de la boue où l’on s’endort), Clemens Setz (Nations-Unies), Azilys Tanneau (Rest/e), Steve Gagnon (Genèse d’une Révolution sans mort ni sacrifice), Jérémie Fabre (La Vie sur Terre est le résultat d’un jeu télévisé intergalactique qui aurait raté), Catherine Benhamou (5 secondes), Claire Tipy (Des Pintades et des manguiers) et David Lescot (Portrait de Ludmilla en Nina Simone).
« J’avais rien à dire à Dieu » – Sara Stridsberg
Les pièces de la sélection 2024 font montre d’une importante réflexion sur les relations intra-familiales dysfonctionnelles. Parmi elles, un certain nombre d’œuvres écrites par des femmes explorent non les joies, mais les difficultés de la maternité, en faisant fi des conventions en la matière. Ainsi en est-il du très beau personnage de Kristina dans Vertigo, de Sara Stridberg, qui débute comme un thriller pour déployer le regard que pose, du haut des cieux, une mère morte sur les sien.nes. L’observation de celles et ceux qui restent sur terre est pour elle l’occasion de s’interroger sans détours sur ce qu’elle fut et ce qu’elle aurait pu être.
Elle se demande par exemple si, quand on est une junky comme elle le fut, recourir à l’avortement n’est pas une meilleure preuve d’amour maternel que de mener sa grossesse à terme. Cette narration à la première personne, parfois interrompue par de courts propos tenus par les proches de la morte, témoigne d’une grande précision sociologique sans que le texte ne se limite à cette seule dimension politique ; bien au contraire, les émotions et les sentiments participent de la plongée au cœur des personnages. La direction sobre d’Aurélie Van Den Daele et l’heure nocturne de la lecture contribuent à l’identification à ce personnage qui nous regarde du haut des étoiles.
« C’est pas permis de dire ça ? » – Monica Isakstuen
La maternité dystopique apparaît également dans la pièce de l’autrice norvégienne Monica Isakstuen Et au-delà, rien n’est sûr. Une entité maternelle mal identifiée fait face à un époux qui lui reproche son absence et entend, enfin, défendre ses positions. Elle se diffracte alors en une multitude d’instances qui viennent imaginer celle qu’elle « peu[t] être ». Cet étrange dialogue, qui décompose la cohérence du personnage chère à Aristote, parvient à nous faire rire et douter en même temps, à nous inquiéter et à nous amuser. L’absurdité assumée d’une part des dialogues y est pour beaucoup, mais aussi la précision paradoxale du texte, qui laisse ouverts mille possibles tout en s’inscrivant dans un univers concret.
Peu à peu, les spectateur.rices perdent pied et nous ne savons plus départager le vrai du faux. La direction de Véronique Bellegarde, qui transforme cette lecture en véritable mise en espace, assume cette division du personnage maternel en plusieurs voix et en plusieurs corps par une distribution, elle aussi, plurielle, avec Bénédicte Cerutti, Marie-Sohna Condé, Marie Dompnier, Julie Pilod et Pauline Vallé pour ce seul personnage.
Mais la Mousson d’été, ce sont aussi des moments de travail, d’échange et de réflexion, grâce à son Université d’été dirigée par l’universitaire Jean-Pierre Ryngaert. Des amateurs et amatrices peuvent ainsi participer à des ateliers à partir des textes présentés lors des lectures. Il s’agit là d’un nouveau procédé, où la réflexion scénique part du texte, ce qui permet aux participant.es de s’en emparer plus facilement que lorsqu’iels sont réduit.es à une simple position de spectateur.rices. Outre cette dimension pratique, des « conversations » occupent les fins d’après-midi autour de l’un des sujets posés par les œuvres lues, comme les relations conflictuelles entre intimité et technologie, thème abordé le dimanche 25 août par la pédopsychiatre Lisa Ouss, ou tout simplement un échange avec Monica Isakstuen, Sara Stridberg et Magne Van Den Berg sur leur écriture et leur place dans le paysage théâtral et littéraire de leur pays respectif.
La Mousson d’été, du 22 au 28 août 2024, Abbaye des Prémontrés, Pont-à-Mousson.
Visuel : © Boris Didym
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