Il fut un succès en librairie ; le roman Y’a pas de Ajar devient, saisi par Johanna Nizard et Arnaud Aldigé, un formidable seule-en-scène. La pièce est pour cette rentrée théâtrale judicieusement programmée par l’Atelier, théâtre iconique de Montmartre.
Delphine Horvilleur, après Réflexions sur la question antisémite et Vivre avec nos morts (éditions Grasset), a inventé le monologue éclaté du fils imaginaire de l’écrivain Romain Gary et d’Émile Ajar, celui-ci double imaginaire de celui-là. Abraham Ajar, rejeton inventé de l’auteur de La Vie devant soi, alias Gary/Ajar, s’exprime depuis sa cave, son « trou juif ». Cette histoire d’Abraham Ajar va traverser les questions si actuelles des origines, des identifications et des identités crispées.
Il y a plusieurs années de cela, j’avais proposé qu’on place une nouvelle fête dans nos calendriers civils et religieux. Aux côtés de la Pâques (chrétienne ou juive), je souhaitais voir figurer une fête de « pas que », une journée par an où l’on se souviendrait qu’on n’est « pas que »…
Le texte est brûlant. On y retrouve l’univers de la rabbin la plus célèbre de France. L’autrice manipule l’humour juif avec une rage rafraîchissante. Armée de cet humour fabriqué de sarcasmes et d’autodérision, elle s’approche au plus près de nos inquiétudes et de nos égarements : le wokisme, le communautarisme, la cancel-culture, l’appropriation et la réappropriation culturelle. Autant de sujets touchy que Delphine Horvilleur embrasse dans un texte ravivant et universel où se télescopent la pensée juive et le freudisme, ses dilemmes de rabbin et nos interrogations.
La mise en scène psychédélique et la performance phénoménale de la comédienne finissent de convaincre la belle salle de l’Atelier. Johanna Nizard est prodigieuse. Elle est une comédienne plurielle. La pièce construite comme une confession commande d’elle une adresse soutenue au public. Elle ne lâche rien. Elle est une comédienne caméléon. Elle va se métamorphoser tout au long du spectacle, sans pause, sans accalmie. Le public applaudit à tout rompre après une grosse heure d’émerveillement en apnée.