Dans l’arbre « Perchée » de Mathias Brossard

MATHIAS BROSSARD · COLLECTIF CCC présente jusqu’au 18 mai 2025 une version féminine du Baron Perché au parc de Vandoeuvres, localité juxtaposant Genève, dans le cadre du dispositif ACT dont fait partie le Théâtre Am Stram Gram de Genève. Une coproduction avec la Comédie de Genève.

Le dispositif ACT Art en Coopérative Transfrontalière

Dans cette période de restriction budgétaire sévère dans la culture, certaines structures inventent des dispositifs pour y faire face. Les grandes maisons misent sur les mécènes et les théâtres sur les coproductions. En Suisse, un nouveau dispositif inter frontalier a vu le jour depuis 2023 et se termine en fin d’année. Avant, surement, une prochaine édition.
ACT regroupe plusieurs scènes françaises, Château Rouge à Annemasse en Haute-Savoie, Les Scènes du Jura, la Scène nationale de Bourg-en-Bresse et en Suisse le Théâtre jeune public Am Stram Gram de Genève et l’Usine à Gaz de Nyon, spécialisé en musiques actuelles et écritures contemporaines. Une coopérative de production basée sur le principe de gouvernance partagée, qui se traduit par des résidences gratuites, mise à disposition de moyens et de diffusion dans le cadre d’un échange collectif.
Deux temps forts : – les agoranomades. Débute, d’ailleurs, aujourd’hui et demain à Annemasse, une des dernières Agora à l’ambitieux sujet « Progrès technique= Progrès social ? »
– La coopérative d’artistes. Chaque structure partenaire choisi deux artistes dont elle accompagne le projet. Notons la présence de Frank Micheletti (Kubilai Khan Investigations) et de Nicolas Chapoulier.

Un hors les murs sans mur

Après une balade bucolique sous les sous-bois pour rejoindre le lieu du spectacle, une série de bancs attends le public dans un coin du parc de la Mairie devant un arbre surement centenaire.
La démarche du collectif CCC s’apparente à celle des compagnies de théâtre de rue dans le fait d’utiliser l’espace public pour s’y produire. Mais le CCC est une compagnie de théâtre, dont les comédiens émanent pour la plupart de La Manufacture – Haute École des Arts de Suisse Romande, ce qui rajoute une dimension répertoire, comme c’est le cas ici, en confrontant des œuvres classiques aux atouts et contraintes de la nature. L’arbre et son environnement sont, non seulement, élément de décor, mais également intentions de mise en scène. Pour la pièce, le baron est devenu Cosima, petite fille rebelle, ne voulant vivre uniquement dans les arbres pour échapper aux règles de la société et aux injonctions de ses parents. Le Baron perché n’est plus le seul à prendre corps sur scène, une partie de l’imaginaire qui accompagne le roman se matérialise pour le public jeunesse dans une réalité palpable. L’actrice qui joue Cosima est en hauteur dans un vrai arbre et vit les risques rencontrés par son personnage. Ce fut le cas pour cette séance scolaire, qui s’est déroulé dans un froid polaire et un vent glacial, épargnée de justesse par la pluie. Cela a obligé les comédiens à réadapter leur jeu aux conditions présentes. Ce qui s’est traduit par un jeu plus forcé afin de pouvoir se faire entendre entre deux rafales, ils évoluaient sans micro. Ce qui pourrait s’avérer un handicap devient un nouvel élément scénographique que les comédiens s’approprient, rappelant le vrai sens du spectacle vivant. Et créant de belles surprises tels ces hélicoptères qui survolent l’arbre quelques minutes après qu’ils sont cités dans le texte. Ou ces chants d’oiseaux qui rajoutent de la poésie à certaines scènes.
Le fait que ce ne soit pas une circassienne qui ait été choisi, mais une comédienne apte à jouer en hauteur, fait parfois regretter que le jeu dans l’arbre ne soit pas plus déployé, mais est, en même temps, significatif de la position de Cosmina qui doit apprivoiser son nouveau territoire, avec sa part de peurs, de maladresses, d’appréhension. Elle n’est pas née dans un arbre, elle y donne naissance au sens de sa vie.

Calvino s’actualise

Des petits slogans amusants, mais sans dénaturer le propos de Calvino se glissent dans la pièce et servent de rappel d’attention pour les enfants. « Créons un monde de salive et de salade » en illustration à leurs désirs de libérer les escargots détenus à des fins culinaires par la mère autrichienne et quelque peu « despote » de Cosima. Une ode au droit à la lenteur et à la cause de la maltraitance des animaux. « On veut des forêts, pas des faux rêves » en référence à la déforestation massive et les conditions climatiques et l’espoir à octroyer à une jeunesse qui doit affronter un monde actuel impitoyable. Les personnages secondaires joués tour à tour par tous les comédiens apportent chacun un peu de fantaisie, de force au propos, de candeur et d’humour.
L’indocile Cosima, qui choisit de vivre dans les arbres au-dessus du monde qui ne lui convient pas, est une figure importante pour les enfants tout autant qu’un sujet de discussion formateur dans cette période délicate de la vie, faite de choix cruciaux à faire, d’avenir à envisager, de séparations, d’apprentissages. La transposition dans un contexte contemporain du roman, permet également de débattre sur le sujet de l’adaptation littéraire et d’aborder d’autres figures marquantes de certaines causes : la militante écologiste américaine Butterfly Hill.

Un spectacle encore jeune qui va murir au fil des expériences de jeu, qui à l’avantage en plus de ses qualités artistiques d’offrir une vraie démarche pédagogique. Cela sans que ce soit didactique, davantage dans le plaisir du jeu et de la rencontre intergénérationnelle par le biais de questionnement des plus jeunes envers leurs parents ou professeurs. Un spectacle familial qui au-delà de l’intérêt des problématiques abordés fait lien.