Le théâtre de Passy était plein samedi dernier, pour cette première représentation parisienne qui convoque sur scène Joséphine Baker et Jean-Claude Brialy. On connaît les stars et leurs parcours irrévérencieux, mais on ignore que ces deux là avaient une affection inconditionnelle l’un pour l’autre.
Plongé dans l’obscurité, on distingue deux silhouettes cherchant le disjoncteur pour rétablir le courant de la Goulue, le Cabaret parisien que Jean-Claude Brialy a racheté pour que son amie Joséphine Baker remonte sur scène… Clap ! La lumière nous sort de notre torpeur, et on y est vraiment. Le rythme énergique d’un texte livré à la virgule comme une chorégraphie de mots, les intonations de voix si caractérisables, et les répliques cinglantes nous baignent dans la folie douce de deux artistes et leur sens commun du music-hall qu’ils ont élevé en art de vivre. Le duo de comédiens, arrivent à incarner ces figures mythiques des soirées parisiennes, sans les imiter. Parfois, dans la diction de Franck Le Hen, on voit apparaître le spectre de Jean-Claude Brialy lorsque son agacement le faisait accentuer les consonnes. Et Clair Jaz maîtrise l’accent américain pour créer l’ambiguïté qui nous rappelle assez naturellement le double sens dont jouait la grande Joséphine pour peaufiner son personnage artistique et habiller ses luttes de paillettes.
En meneuse de revue singulière, elle n’aura laissé personne indifférent avec sa gestuelle animalière et ses facéties bouffonnes. Des US, son pays de naissance, à Paname qui a abrité ses rêves de cabaret, on égraine les petits souvenirs de la grande Histoire. Qui sait que Joséphine Baker a pris la parole avant Martin Luther King lors de son célèbre discours « I have a dream » ? Pourtant, elle a marché fière et décorée par la France aux côtés du grand leader pour débarrasser le rêve américain de sa pollution apartheid. Son expression scénique était le reflet audacieux de son esprit moqueur et combattif qui a inspiré sa créativité d’un continent à l’autre.
Retranchés dans ce cabaret poussiéreux, Joséphine Baker et son fidèle ami préparent le retour de la grande dame. L’occasion pour la nouvelle pièce de Franck Le Hen et Clair Jaz de parcourir, comme une épopée, la vie de cette artiste iconoclaste à travers les yeux passionnés de Jean-Claude Brialy. Et l’on comprend immédiatement, comme dans un coup de foudre, les convictions intimes qui ont fait le ciment de leur amitié. Son dévouement aura été intact jusqu’au dernier souffle de Joséphine Baker et lui aura permis de renouer avec la gloire. Les auteurs nous offrent même, en finale, la der des der.
De la vie de chatelaine à la baie de Monaco, on reconnaît la mise en scène subtile et efficace de Coralie Baroux (« la p’tite débrouille »). Avec peu de choses, elle créé l’ambiance d’une époque. Une bande son, sélectionnée pour passer d’une décennie à l’autre. Quelques projections historiques pour tramer la narration à la réalité. Et l’émotion d’une scène dépouillée qui s’assombrit lorsqu’au soir de sa vie, la diva s’en va… Et même si son acolyte finira par la suivre au milieu des étoiles ; jusqu’au bout du spectacle, le panache ne quitte pas les deux monstres sacrés qui dialoguent au firmament.
Dans cette comédie grinçante, Franck Le Hen et Claire Jaz nous offrent une parenthèse hors du temps. Ils rendent hommage bien sûre à une femme libre et engagée, qui par son audace attirait les projecteurs, et à la discrétion d’un homme qui s’est battu pour la mettre en lumière. Mais surtout, leur coécriture semble nous prévenir dans un éclat de rire que le temps passe, et que la lutte contre toutes formes de discrimination reste d’actualité. En cela, l’esprit est conforme à l’œuvre de Joséphine Baker sur le fond et dans la forme détournée. L’aînée de ses enfants, Marianne présente dans la salle a validé la performance. L’entrée de Joséphine Baker au Panthéon en 2021 n’est pas usurpée. Il était temps !
Tous les samedi à 17h au théâtre de Passy jusqu’à fin juin.
Crédit photo : Sandra Sanji