Présentée fin 2023 au théâtre de la Colline puis reprise depuis fin mars 2024 au Théâtre Marigny, la dernière création de Yasmina Reza, portée par un casting impeccable et sublimée par une mise en scène grandiose, interroge avec humour et poésie l’identité et plonge les spectateurs dans une esthétique puissante.
Dans Heureux les heureux, roman choral de Yasmina Reza sorti en 2013, on découvrait le personnage de Jacob Hutner. Fils de Pascaline et Lionel, Jacob se prenait, à l’aube de son adolescence, pour Céline Dion. Dans James Brown mettait des bigoudis, Jacob (Micha Lescot) a grandi et il s’identifie toujours à Céline Dion. Désormais, il réside dans une maison de repos, où la verdure prédomine et où l’on peut croiser des psychiatres excentriques (Christèle Tual) en trottinette électrique… Il s’y est fait un ami, Philippe (Alexandre Steiger), un blanc qui pense être noir. Jacob ne veut plus qu’on l’appelle « Jacob » ou « Pitounet », comme ses parents (Josiane Stoléru et André Marcon réunis pour la première fois sur scène) semblent y tenir. Il est Céline Dion et prépare une grande tournée en Amérique latine.
Dans cette nouvelle pièce, où l’absurde côtoie la mélancolie, Yasmina Reza explore la question de l’être, d’un point de vue ontologique. Qu’est-ce qui nous définit en tant qu’être ? Qu’est-ce qui construit le « moi » ? Elle questionne sans parti pris la normalité et la différence, le genre et la transidentité.
Si les parents de Jacob sont littéralement dépassés par les événements, en plein désarroi devant leur fils qui leur demande de l’appeler « Céline », comment différencier ce qui est raisonnable de ce qui ne l’est pas ? Si Jacob construit son identité autour de son idole, dont il va jusqu’à prendre l’accent québécois (sauf quand il se met à chanter, comme elle), est-ce à dire qu’il est fou ?
Inspirée au départ par son propre fils, grand fan de Céline Dion depuis l’âge de 5 ans, Yasmina Reza signe et met en scène une comédie décalée et foutraque. Elle décrit avec une plume ciselée des personnages fantasques, sensibles et émouvants, dont les solitudes se heurtent les unes aux autres.
Le spectateur est embarqué dans une succession de courtes scènes, magnifiées par une scénographie soignée d’Eric Soyé. Ainsi, nous observons de majestueux décors se déployer avec élégance et fluidité, sublimés par des projections vidéo et des jeux de lumières parfaitement orchestrés. Cerise sur le gâteau : la musique de Joachim Latarjet (chant, trombone, guitare électrique) qui apporte une touche de lyrisme à l’ensemble et enrobe le spectacle d’une aura mystique.
Précisons enfin que James Brown mettait des bigoudis a été nommée deux fois aux Molières 2024 : Yasmina Reza pour le Molière de l’autrice francophone vivante et Josiane Stoléru, pour le Molière de la comédienne dans un second rôle.
Un très beau moment de théâtre.
Crédit photo : (c) Pascal Victor
James Brown mettait des bigoudis
Ecrit et mis en scène par Yasmina Reza
Avec Micha Lescot, André Marcon, Alexandre Steiger, Josiane Stoléru, Christèle Tual et Joachim Latarjet (musicien)
Au Théâtre Marigny jusqu’au 7 avril 2024
Durée : 1h45