« Introducing living smile vidya » à la Sélection suisse, une transition réussie

Dans la petite salle de la Manufacture, haut lieu du théâtre contemporain, la dernière de Introducing Living Smile Vidya va commencer. Le texte de présentation nous a fait hésiter, un sujet qui de polémique est devenu carte de visite de programmation. Et puis elle apparait. Living Smile Vidya est belle, elle irradie tout de suite la scène. L’installation scénique est pensée et en même temps joyeusement basique, des projections sur des plans verticaux, une petite estrade en avant-scène, quelques accessoires. Peu importe : c’est elle que l’on voit, cette femme au long cheveux bruns. Et pourtant…

Cherchez la femme

« On ne naît pas femme : on le devient ». Cette citation extraite d’un livre de Simone de Beauvoir, devenue formule et slogan féministe, colle parfaitement au récit de vie et à la performance de Living Smile Vidya. Ce livre, c’est le Deuxième sexe et c’est bien de cela dont il s’agit : un autre sexe que celui de sa naissance est voulu, conquis, défendu et enfin assumé par Living Smile Vidya.
En Inde, un petit garçon aide sa sœur au ménage et à la cuisine ; il adore les robes et attend le mariage de sa soeur pour prendre les siennes. Cela la fait sourire, juste sourire. Le père, issu de la caste des Dalits, intouchables considérés comme de véritables parias, caste qui ne les autorise qu’à nettoyer les canalisations pour gagner leur vie, rêve d’une belle situation pour son fils unique. Il le pousse à étudier, encore et encore. Mais le fils préfère mendier pour s’offrir une nouvelle vie, une vie à sa mesure, une vie qui donne envie de vivre même s’il lui faut chaque jour frôler la mort pour affirmer cette nouvelle identité : être une femme. Selon les services de l’immigration suisse, être transgenre en Inde n’est pas considéré comme dangereux. Or, au fil de sa performance, Living Smile Vidya inventorie sans s’appesantir les violences du père, les 15 viols, l’opération clandestine catastrophique pour changer de sexe, les menaces, les agressions… sans jamais tomber dans le sordide. Les détails, l’artiste les a exposés dans son livre I am Vidya, qui a fait l’objet d’un film, Naanu Avanalla… Avalu (I’m not a He… She), en langue Kannada (sorti en 2014) qui lui a valu une reconnaissance internationale. Peu après, elle a fondé le collectif de théâtre transgenre Panmai Theatre à Chennai, dont les pièces font l’objet de tournées nationales et sont jouées à l’étranger.

Engagez -moi !

Cette femme, qui s’est engagée toute sa vie pour le droit de ses semblables et de toutes minorités, crie dans sa performance et nommément dans les dernières minutes : engagez-vous à votre tour en m’engageant dans vos productions, théâtres, publicités…
Elle nous jette au visage son impossibilité à pouvoir être totalement intégrée. Elle le fait sans agressivité ni rancœur, avec toute la douceur qui traverse son spectacle, la joie éclatante qu’elle dégage, l’humour irrésistible qu’elle possède et tout le charme qui émane d’elle : « Donnez-moi un travail, la Suisse m’a donné la sécurité, une paire de seins sublimes mais pas encore de quoi vivre sans les impôts de ses concitoyens ». Elle ironise sur le fait qu’elle coche toutes les cases pour être programmée dans une scène nationale de théâtre contemporain et balance au passage son CV en forme de QR code. « Avec moi vous avez tout le paquet ». Elle égratigne gentiment les tendances actuelles en termes de programmation et le risque de devenir un objet d’exhibition artistique qui fait recette. Elle est, certes, transgenre, et a été connue pour son histoire tout autant que son activisme en Inde. Cependant, elle cherche un travail et non plus un rôle à jouer dans une société. Elle est touchante, plus encore, dans ce désir un peu enfantin empreint d’image idéale d’un bonheur certain assuré par un amoureux, des enfants, une maison, un emploi stable… qu’elle déconstruit elle-même. Elle ne cherche pas à se ranger mais à être ce que lui a fait apercevoir sa chirurgienne plastique Ewa : « avec elle, je me suis sentie un être humain ». Par cette opération réparatrice, en plein Covid, elle a redonné une dignité et un nouvel espoir à Vidya. Mais depuis, elle n’arrive toujours pas à réunir les conditions pour la touche finale, celle qui la rendrait totalement femme, notamment dans sa vie sexuelle. Impossible d’oublier cette chanson, ode à un vagin et une chatte à construire. En nuisette, splendide et non vulgaire, façon cabaret, elle entonne : « Mais ça c’est quoi ? Ça peut seulement pisser ». Émouvante, elle incarne tous nos manques, nos renoncements, en y apportant sa force vitale et une gaité désarçonnante au vu de son vécu.

Engagez-là !. Elle ne coche pas toutes les cases : elle les fait carrément exploser.