L’artiste brésilienne Janaína Leite nous invite à explorer l’oeil dans tous ses états : actif-avide (voyeurisme) mais aussi objet déchet, objet rebus de l’opération scénique — le fameux oeuf, cassé avec jouissance et avec lequel joue le narrateur de l’Histoire de l’oeil de Georges Bataille. En bref, casser une mauvaise éducation du regard ?
Cette histoire du corps relue par Janaína Leite nous offre à voir la trajectoire de trois personnages marqués par une forme de marginalité sexuelle. Chacun d’eux se fait lecteur de l’oeuvre de Bataille, en déchiffre des passages et les relie à sa propre histoire — le témoignage rejoint ici l’adaptation littéraire. Cette sexualité de la dépense et de l’excès chère à Bataille, Leite lui donne forme avec son style tout en s’inspirant d’un théâtre-témoignage certes touchant mais peut-être un tantinet attendu ; là où la scénographie est audacieuse, vivante — il y a des trouvailles ! — et parvient à créer un univers qui convoque et dérange.
Désacraliser l’aura d’un texte, s’en emparer pour le transformer en une expérience esthétique qui ne laisse décidément pas indifférent — nous avons aimé la présence de ces acteur.rices-performeurs à la vitalité débordante touchant parfois au sublime. Toutefois, si un véritable travail sur la représentation du regard existe, on aurait aimé que le regard des spectateur.rices soit sollicité dans un autre registre que celui de la pulsion ou de la cruauté sadienne. Les performances qui parsèment le spectacle nous tourmentent par leur radicalité (il s’agirait en effet d’une mise en acte du sadisme et du masochisme) et nous donnent à méditer sur les possibles de la représentation porno, et, plus universellement, sur celle du corps.
Pour un théâtre de la jouissance en effet, quelle forme trouver ? La mise en scène recherche l’expérience organique ultime à nous faire éprouver. Jamais elle ne nous ménagera et jamais il n’existera de quatrième mur : nous sommes, dès les premiers instants, en totale immersion, embarqués dans une histoire qui nous déroute et bouscule nos réflexes de bien-séance voire de bien-pensance…
« L’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort. »
Bataille nous entraîne là. Leite nous entraîne elle aussi du côté d’une exploration de l’impossible, donc des limites du corps ; en un mot de la finitude. Jusqu’où le théâtre est-il prêt à aller pour nous raconter le corps et ses errances ? Le réel, c’est l’impossible et la jouissance, c’est l’au-delà du principe de plaisir (Lacan relisant Freud). Leite semble précisément nous inviter à prendre conscience des angles morts et des impasses du regard qu’hommes et femmes sont en mesure de porter sur la chair qui les déborde. Sur leur jouissance. Son histoire de l’oeil est en ce sens une histoire de corps débridés, joyeusement foutraques et beaux — un théâtre de la jouissance plutôt que du désir.
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : ©Guto Muniz/Divulgação