« Hen – Cabaret ultra-genré » la chimère flamboyante de Johanny Bert

par Camille Zingraff
09.04.2025

De l’état embryonnaire au squelette doré, en passant par l’invisible, l’audience, fascinée, suit Hen sous toutes ses déclinaisons marionettiques. Dans un humour insolent, rempli d’auto-dérision et de paroles aussi bouleversantes que nécessaires, Johanny Bert, artiste transdisciplinaire et voix parlée et chantée de Hen, nous offre un instant hors du temps où chaque geste et parole mériterait d’être disséqué tant la partition est intelligente. À l’occasion du Festival Woke, le Théâtre 14 devient l’écrin de cette œuvre polymorphe, à la croisée du cabaret, de la marionnette, et d’un manifeste militant vibrant.

Une chorégraphie virtuose aux mains multiples

Mais combien sont-iels là derrière ? Alors que les accessoires, les rideaux, les jeux de jambes et de corps de Hen se déploient, nous essayons toustes de discerner combien de personnes donnent vie à cette créature.
Dans un tableau satirique, le jeu de lumière — habilement manipulé par Emilie Tramier et Gilles Richard —- nous dévoile les deux personnes derrière Hen tout en soulignant la difficulté du rôle des marionnettistes. C’est Johanny Bert lui-même, accompagné de Jonas Coutancier, qui manipule Hen à vue, dans un jeu d’une précision troublante. À leurs côtés, deux musiciens — Guillaume Bongiraud au violoncelle électro-acoustique et Cyrille Froger aux percussions — rythment chaque instant avec une complicité organique. Plus qu’une simple bande-sonore, les deux musiciens sont acteurs à part entière de la dramaturgie : le jeu entre la marionnette et les musiciens se ressent et déborde d’humour et de talent.

Puisque là est bien le cœur de ce spectacle : parfaitement huilé, les digressions pleines de malice de Hen, allant jusqu’à héler amicalement Mathieu Touzé, directeur du Théâtre 14, au fond de la pièce, permettent légèreté et fascination.

Désapprendre les normes

Hen ne cherche pas à être défini. « Je suis simplement moi », c’est tout. Et c’est déjà immense. Dans ce cabaret qui reprend les codes classiques en étant véritablement queer, la proposition artistique se construit comme un espace de liberté à la fois intime et politique, les identités se chevauchent, s’effacent et se reconstituent. Johanny Bert, qui signe aussi la conception et la mise en scène, y insuffle sa vision profondément utopique d’un théâtre transgressif et joyeux. Hen, tour à tour chanteuse, diva à talons ou squelette malicieux, nous parle d’amour, de corps, de sexualité, dans un mélange de sincérité et d’humour.

Les chansons originales (signées entre autres Marie Nimier, Gwendoline Soublin ou encore Yumma Ornelle) se succèdent dans un rythme de cabaret aussi classique qu’explosif. Ici, le cabaret ne célèbre pas la norme : il l’éclate.

Un théâtre de la marge, au centre de la scène

Dans cette proposition artistique bouleversante, la créature chimérique nous rappelle sa chance d’être de mousse et de bois, et d’être portée par un artiste comme Johanny Bert — le plus connu pour son franchissement fluide des frontières entre les institutions, les scènes indépendantes et les prises de parole artistiques radicales.

Si Hen était de chair, elle aurait sans doute du mal à se décliner de la sorte sans être censurée, caricaturée ou malmenée. Mais sur scène, elle s’épanouit : joie, désir, paillettes, doutes et peurs… ce qu’il nous reste : la liberté, tout simplement.

Dans un final époustouflant, Hen nous offre ses amour.e.s : en chantant la chanson originale de Pierre Notte « Je t’aime à en crever » nous laisse sur une touche de mélancolie, célébrant le sublime de ce spectacle qui sous ses airs ultra-genrés, nous offre de l’ultra-queer, de l’ultra-woke.

Avec cette première édition, impulsée par Mathieu Touzé, il ne nous reste plus qu’à attendre celle de l’année prochaine. Plus qu’une scène et un espace de divertissement, le Théâtre 14 et ses équipes offrent un espace refuge où se ressembler, pleurer, mais surtout rire ensemble. Hen conjugue nos futurs : il est possible de chanter, de se transformer et d’exister hors des normes. Et avec Johanny Bert en maître de cérémonie, tout cela devient manifeste.

visuel : ©Christophe Raynaud de Lage

Le Festival Woke est au Théâtre 14 jusqu’au 11 avril, vous trouverez les informations sur leur site !