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Hassane Kassi Kouyaté, directeur du festival Les Francophonies : « La francophonie est organique »

par Julia Wahl
28.09.2023

Hassane Kassi Kouyaté, directeur du festival Les Francophonies, des écritures à la scène (voir notre reportage ici), revient sur sa pièce Zoé et ses choix de programmation.

Comment avez-vous découvert le texte de Zoé ?

 

On collecte des textes, et on nous en envoie pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’on est les « Francophonies, des écritures à la scène », donc les auteurs francophones nous envoient des textes, et ils le font aussi pour les différents prix. C’est lors de la présélection de l’un des prix que j’ai connu ce texte.

 

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce texte ?

 

C’est d’abord très personnel. Je pars de l’infiniment personnel pour atteindre peut-être le maximum (je ne peux pas parler d’universel, ce serait prétentieux !).

 

J’ai une fille qui a 15 ans, qui en avait 13 quand j’ai lu le texte. C’était au moment de la COVID. Avant cela, il y a eu les manifestations des Gilets jaunes. Je me posais des questions sur mon existence, sur le pays dans lequel je vis. Ma fille me posait des questions : elle ne comprenait pas du tout pourquoi autant de personnes pouvaient être dehors. Elle se posait vraiment des questions, comme moi d’ailleurs, sur ce qu’est la démocratie, la liberté, l’autre. Quand on a un minimum de libre arbitre, je pense que, de manière consciente ou inconsciente, on aborde ces questions-là.

 

Je n’ai pas trouvé de réponses dans ce texte, mais j’ai trouvé que ces questions étaient débattues.

 

La deuxième chose qui m’a plu, c’est l’espace de discussion qu’il crée, parce que je trouve qu’on discute de moins en moins réellement, que, quand on n’est pas du même point de vue, ça crée tout de suite des ruptures, des bagarres, des antagonismes terribles, alors qu’on n’est pas obligés d’être d’accord pour s’éclairer mutuellement. Au contraire, c’est comme le jour et la nuit : s’il n’y a pas de jour, il n’y a pas de nuit et s’il n’y a pas de nuit, il n’y a pas de jour. C’est comme les rayures du zèbre [le symbole du festival] : le noir éclaire le blanc, le blanc éclaire le noir. Les idées contradictoires, ça peut être aussi des moyens d’avancer, d’éclairer l’un ou l’autre. Ça, c’est un autre aspect qui m’a plu dans ce texte.

 

Et, le troisième aspect, c’est aussi un discours de génération : une étudiante jeune et un professeur d’un certain âge qui discutent et personne n’a raison. Chacun aide l’autre à avancer sur son point de vue ou à avoir d’autres éclairages.

 

Est-ce que, pour vous, la démocratie, c’est la possibilité de cet échange, de ce débat entre des opinions contradictoires ?

 

Pour moi, la base de la démocratie, c’est ça :  c’est l’expression d’abord des points de vue, des choix différents, c’est l’expression de la diversité, le respect de la diversité.

 

La question du personnage de Zoé, qui va jusqu’à saisir la justice pour faire valoir ses droits, c’est quelque chose qui relie cette pièce à l’un des textes primés cette année [Lune, de la Belge Pamela Ghislain]. Cette forme de judiciarisation du conflit, avez-vous l’impression que c’est uniquement le fait des auteurs et autrices que vous sélectionnez, ou que ça correspond à une évolution de la société ?

 

Je pense qu’on vit avec son temps. Peut-être que c’est quelque chose qui préoccupe ou intéresse davantage les auteurs d’aujourd’hui. Je constate seulement que les auteurs parlent de plus en plus de ce qu’ils vivent au quotidien. Aujourd’hui, on porte plainte plus vite, parce qu’on a les moyens, on a été informés de certaines choses, de certaines facilités, et des lois ont changé (sur la question des différents abus, du harcèlement…). Il y a quelques années, on n’en parlait pas. Les choses ont évolué, ça, c’est factuel je pense. Donc, il est normal d’entendre les auteurs en parler : les auteurs ne parlent que de ce que l’on vit.

 

Dans la mise en scène, il y a un jeu avec des moments qui sont répétés, mais joués de façons différentes. Cette répétition était dans le texte, mais comment l’idée est-elle venue d’utiliser cela pour jouer de la différence des points de vue ?

 

C’est la quatrième raison qui m’a poussé à choisir ce texte : la répétition de ces scènes. Je viens d’une tradition de l’oralité et on dit souvent qu’en disant les mêmes mots exactement et en les disant à un autre moment de la vie, du jour ou de la journée, et de manière différente, ça ne dit pas la même chose. C’est pour cela qu’on dit qu’on ne dit pas tout à n’importe qui, n’importe quand et n’importe où. Donc ça m’a beaucoup plu. J’ai appelé l’auteur et je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça. Il m’a dit exactement la même chose. J’ai donc voulu jouer aussi là-dessus.

 

Je voudrais à présent parler de la scénographie. Nous avons à la fois ce carré au sol, qui donne une impression de ring, et ces chaises qui permettent tout de même d’avoir des moments de pause et qui signifient davantage la discussion. En même temps, on est dans un espace assez sombre et, par le jeu des latérales, les ombres des acteurs sont projetées et ces ombres sont de moins en moins fortes, ce qui m’a fait penser à l’allégorie de la caverne de Platon : l’idée que l’on va chacun et chacune, progressivement, se défaire de ses illusions et que l’on va enfin réussir à philosopher ensemble. Je voudrais savoir jusqu’à quel point tout cela était intentionnel et comment ces réflexions sur la scénographie ont évolué en cours de création.

 

En général, c’est moi qui fais mes scénos.  La scénographie et les lumières, je les pense très longtemps à l’avance. Je fais des storyboards, comme au cinéma. Je ne les dis à personne, même pas à mes assistants, et je ne leur donne que mes grands axes de boulot. C’est pour c’est pour cela que je n’arrive pas à créer un spectacle comme cela [il fait le geste de claquer des doigts]. Je commence par le texte, je me demande pourquoi je veux monter cette pièce. Ensuite, je me demande : s’il y a une scène qui doit rester dans le texte, c’est laquelle ? S’il y a une phrase, s’il y a un mot, c’est lequel ? Si je n’arrive pas à expliquer pourquoi une chose est dite, si elle ne permet pas d’éclairer ce que je veux dire, je coupe.

 

C’est à partir de là que le casting se met en place : qui peut porter ce que je veux ? Quand je fais ce casting, le texte me dit : est-ce que c’est un homme ? Est-ce que c’est une femme ? Ou bien, c’est un personnage générique. Moi, je veux lui donner quel âge, quelle forme ? Je vais le mettre où, dans quel espace ? C’est ça qui détermine après mon espace.

 

En revenant à Zoé, c’est l’amitié qui m’intéresse là-dedans. Je me suis dit : « Il ne faut pas les faire courir de gauche à droite, il faut zoomer. » Quand tu fais un plateau avec un petit carré et un rectangle, c’est comme un zoom. Même sur un grand plateau, ce qui apparaît petit, c’est la façon dont on perçoit la chose. Donc : « zoom classe ».  Au départ, je suis parti avec trois bancs pour les faire bouger et s’asseoir et puis, au fur et à mesure que ça avançait, comme on n’est jamais seul ( on a des fantômes, on a toutes ces personnes qui sont passées dans cette classe), il fallait matérialiser aussi cela.

 

Ensuite, dans beaucoup de mes spectacles, il y a une ombre, parce que c’est la projection, le prolongement de tout ça. On est plus que ce que l’on est physiquement. Quelqu’un peut aussi regarder les ombres : ça peut le mener vers autre chose, c’est comme plusieurs dimensions.

 

C’est pour ça que j’ai souvent besoin d’en moyenne deux ans : je repars du texte, je me demande toujours pourquoi je veux faire cette pièce et après je nettoie tout ce qui est accessoire. C’est pour cela que je n’ai presque pas d’accessoires dans mes spectacles. Même la feuille des présences [le professeur de la pièce fait l’appel avec une liste des élèves], je ne voulais pas.

 

Pourquoi un focus sur les francophonies du Nord ?

 

Cette francophonie est tellement vaste : c’est pour cela que je l’ai mise au pluriel quand je suis arrivé. J’ai mis les écritures aussi au pluriel (« des écritures à la scène » [sous-titre du festival des Francophonies]) : j’ai voulu mettre mon projet dans le titre.

 

Je trouve qu’on globalise tellement la francophonie : il n’y en a pas une. Même le Canada, le grand Canada : il y a les québécois et les autres francophones. C’est ça qui est important : la francophonie québécoise n’est pas la francophonie canadienne francophone, ce n’est pas la francophonie luxembourgeoise, la wallonne, la suisse romande n’en parlons pas. C’est pour cela que je travaille par blocs, pour aller ensuite vers des subtilités. C’est pour cela aussi que je fais des discussions : pour que l’on éclaire cela. Je me suis rendu compte de l’ignorance terrible de ce qu’est la francophonie : on se limite souvent à la francophonie politique et politicienne : il y a un rapport avec la colonisation, les pays colonisés par la France et les membres de l’OIF, alors que la francophonie est organique, ça va au-delà de tout ça, c’est plus vaste que ça. Il me semblait donc important de faire des focus.

 

Comment choisissez-vous les textes et mises en scène ?

 

Il faut savoir qu’on reçoit en moyenne entre 150 et 210 propositions et on a en général 12 créations et premières en France.

 

Par rapport à cela, je regarde en général quelles sont les thématiques qui sortent. Je ne suis pas forcément l’actualité, mais les préoccupations des créateurs. Par exemple, cette année, c’était des thèmes autour de l’écologie, de la justice, de l’identité… D’un seul coup, le fil conducteur, la charpente éditoriale naît.  Quand une thématique ressort, je me dis : « Ce doit être la vérité du moment. » Je dis toujours que les créateurs, d’une manière ou d’une autre, parlent des urgences de l’humanité. C’est un travail d’analyse assez poussé [il nous montre des dossiers et ses notes]. Après, on rentre dans la technicité : quel est le projet qui a des chances d’aboutir ?

 

L’autre critère, c’est de quelle partie du monde il s’agit. Il faut faire attention, parce que souvent, plus de projets viennent d’Afrique, du Québec ou du Canada. Sinon je fais un festival africain.

 

Après, je regarde la logique et j’essaie de mettre des parcours, soit qui se contredisent, soit qui créent une dynamique.

Le festival Les Francophonies, des écritures à la scène a lieu à Limoges jusqu’au 30 septembre.

 

Visuel : photographie de Hassane Kassi Kouyaté – droits : Christophe Péan.