Du 12 au 26 octobre se tient à Lyon le festival international de théâtre Contre-Sens, et sa ligne directrice pour cette deuxième édition est de proposer des pièces, des performances qui permettent de « faire tomber les murs ». La pièce hybride de la toute jeune compagnie Mashirika, Génération 25, est une jolie promesse pour mettre en récit le Rwanda d’aujourd’hui, mais à l’écriture encore très faible.
Comment parler du passé ? Comment parler de ce qui écrase ? Comment parler de ce qui façonne et que l’on n’a pas choisi ? Trente ans se sont écoulés et nous séparent du génocide perpétré par les Hutus contre les Tutsis en 1994 au Rwanda. Trente ans, et aujourd’hui, la population rwandaise est en majorité née après le génocide, héritière de ces crimes, de ce passé.
Sur scène, en fond, un écran projette le visage d’une femme tenant son bébé dans les bras, des barbelées l’encadre. Des plots forment des cercles. Deux ombres entrent dans la pénombre, un homme se met à parler. Le génocide s’est produit, cela peut recommencer. Il incante que pour l’éviter, il faut se souvenir, se faire les témoins de ce qu’il s’est passé. Il prophète qu’il faut apprendre pour comprendre, apprendre pour réagir, réagir pour éviter. Puis tour à tour, les neufs artistes nous confient leur histoire, leur douleur.
Tel est le parti pris de cette création, dire ce qu’il s’est passé il y a trente ans, dans toute l’horreur de sa réalité. Iels bâtissent un panorama d’héritages et de destins multiples, une pluralité de vécus, du fils de tueurs à la fille qui n’a pas pu dire « adieu » à sa mère. De celles et ceux qui ont du sang sur les mains à celles et ceux qui se retiennent aujourd’hui de le verser à nouveau. Par le chant, le rap et la danse, iels expriment les courants contradictoires qui les traversent et impriment dans la rétine et l’oreille des spectateurices des images fortes. On se souviendra notamment longtemps du phrasé tranchant de cette jeune femme qui rappe son mal, ses envies de suicide, son impossibilité à trouver l’impulsion pour vivre.
Si l’énergie de cette troupe est manifeste, on la sent encore fragile face à la mise en récit de son histoire. La narration de la pièce mériterait une réécriture pour rendre plus limpide et percutant son propos. L’énergie qui déborde de cette volonté de se propulser vers l’avenir rend pour l’heure complexe le chemin de la performance qui s’étale, et parfois s’en étiole. Mais n’est-ce pas normal pour cette histoire qui est en train de s’écrire ? Mais n’est-ce pas normal pour une histoire si complexe qui n’est encore que peu renseignée et encore moins étudiée ? Mais n’est-ce pas normal pour cette prise de parole nouvelle qui complète un panorama amorcé par Gaël Faye et son Petit Pays en 2016 ?
On regrette l’utilisation sans plus-value de la vidéo. On regrette qu’un relais plus liant ne soit pas passé d’un artiste à l’autre lorsqu’iels racontent leurs histoires. On espère qu’une place plus grande sera faite aux tableaux musicaux qui prennent aux tripes, et à la danse, à ces mouvements du corps qui disent, parfois mieux que les mots, les fantômes qui nous hantent. On espère que ces jeunes artistes continuent leur quête de mise en récit de leur vérité.
(c) DP – Génération 25