Pas de 49-3 pour la 47.49

D’après François Veyrunes et Valérie Joly-Malevergne, le «al» entre parenthèses du titre correspond au pronom neutre, non binaire ou inclusif utilisé dans le français au temps jadis – «el» ou «al» dérivant du latin «illud». La pièce cherche à explorer «le large éventail des dynamiques créatives que recèle la notion de paradoxe». Autrement dit, concilier ou dépasser dialectiquement les couples antagonistes déterminants pour l’art en général et la chorégraphie en particulier : lumière et obscurité, individu et corps social, intime et collectif, temps forts et temps morts… C’est indépendamment des modes et des courants actuels, quelque peu en marge des réseaux sociaux ou d’influence que François Veyrunes poursuit la ligne qu’il a commencé à tracer il y a trente ans. Ce, entouré de ses fidèles collaborateurs et collaboratrices, à commencer par Christel Brink Przygodda, co-chorégraphe et dramaturge et Philippe Veyrunes, frère d’âme, scénographe, vidéaste et créateur lumières.

La durée de la pièce nous a paru idéale : une heure chrono, ni trop, ni trop peu. La vidéo, qui a demandé deux ans de tournage, sert de toile de fond – de toile également au sens cinématographique. Elle n’est nullement envahissante. L’image ne distrait pas le spectateur mais lui est offerte en prime. L’écran est en CinemaScope et, pour suggérer le mouvement à la manière des peintres suprématistes plus que par coquetterie, Philippe Veyrunes l’a incliné. La ligne d’horizon reste à sa place et sépare le terrien de l’aquatique et de l’aérien. Contrairement au film à clignotements Wintercourse (1962) de Paul Sharits, les changements climatiques, les conséquences naturelles, le passage des saisons se font sans heurt, se fondent ou se superposent.

Temps dynamique et temps étiré

Le son est travaillé en soi, indépendamment de la lumière. La composition musicale de François Veyrunes mixe les plages électro et un air d’opéra tiré du premier acte de La Wally (1892) d’Alfredo Catalani chanté par la diva Wilhelmenia Wiggins Fernandez, bissé jusqu’à produire son effet de fascination sur l’audience. La vidéo, composante de la lumière, a sa propre rythmique, sa logique interne ; la danse, contemporaine, se pare de costumes de scène casual conçus par Marion Mercier; les artistes vont pieds nus, bien sûr; on est dans une danse-danse dysnarrative nonobstant le recours à la dramaturgie chère aux auteurs d’outre-Rhin – non à ceux d’outremer. La réussite du spectacle tient aussi et surtout aux sept mercenaires intermittents qu’il nous faut nommer : Jeanne Durouchoux, Flavien Esmieu, Tom Levy-Chaudet, Emily Mézières, Geoffrey Ploquin, Alexandre Tondolo, Lauriane Vinatier.

Tout dans la chorégraphie est ténu, tenu, retenu. Nous sommes donc loin de l’emportement simulé, du chaos artificiel, de la transe donnant le change. Les difficultés techniques s’enchaînent mine de rien : l’âpre travail au sol, des roulades en tous sens, des équilibres sur les mains, des déséquilibres sur une jambe, des portés à l’horizontale ou tête bêche, des torsions et des contorsions, des gels gestuels et des accélérés. Le seul répit pour les artistes est constitué des entrées et sorties des uns et des autres, le temps de laisser le terrain à une variation ou à un pas de deux. La sérénité domine. Aucun bruit de pas, pas le moindre bond. Ici, rien d’ostentatoire, jamais d’esbroufe, pas d’épate de galerie. De l’apollinien. Si le mouvement est plus speed que chez Myriam Gourfink, le tempo est adagio, avec des passages largo et des arrêts. L’extraordinaire solo d’Emily Mézières sur une ligne de basse techno conclut Paradox(al) en beauté.