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19.11.2024 → 05.12.2024

Festival PLEIN PHARE In #3 – Plus qu’un repère, les arts sont au Havre !

par Theo Guigui-Servouze
26.11.2024
© Estrella Pouzoulet

Du 19 novembre au 5 décembre 2024, le Phare, lieu emblématique du Havre qui abrite le Centre Chorégraphique National de Normandie, est un lieu de danse, de spectacles vivants qui s’ancre à coup sûr dans le paysage artistique de l’hexagone et au-delà. Un vivier d’artistes connus et émergents investissent tambour battant le CCN. Fouad Boussouf, chorégraphe, danseur, à sa tête depuis 2022 a un Objectif : l’Avenir.

 

 

 

 

Vendredi 22 novembre, entre chien et loup, la fraîcheur normande n’a découragé personne. Au contraire. Le Phare bouillonne, il s’est fait une beauté. Sous la direction de Fouad Boussouf et son équipe, huile de coude et engagement total paient : l’endroit est bondé. DJ set, bar pris d’assaut. Carte blanche a été laissée à 4 jeunes danseurs, à eux de faire trembler Le Phare. Les répétitions ont été brèves, les danseuses et danseurs ont peaufiné les détails de leurs scénographies et autres, jusqu’au dernier moment. Du sud de la France, en passant par la Suisse, amis, familles et curieux normands sont au rendez-vous pour cette 3ᵉ édition du festival. Fouad Boussouf a un mot pour chacun. Fort de son parcours personnel, d’une pédagogie acquise à la sueur de son front, connu pour ses créations telles que « Oüm » (2020), hommage à Oum Kalthoum, ou encore « Fêu » (2023), qui rayonnent internationalement – avec cœur et humilité, il laisse place à la jeune génération frémissante d’une danse, performative, poétique… dans tous ses états, avec une certaine longueur d’avance.

 

 

 

Caprice, par Charlène Pons (chorégraphe et interprète)

 

Si les pensées et les afflictions étranges qui sommeillent en chacune et chacun pouvaient s’incarner, c’est probablement en Charlène qu’elles trouveraient refuge et pantomime battue et battante. Une danseuse, 4 chaises blanches et une veste de costume. Une veste qui l’aveugle n’ayant de cesse de recouvrir son visage comme des créatures, des facettes d’elle… incomprises mais ne cherchant pas à se justifier. D’une chaise à l’autre, elle tombe et reprend immédiatement la main, ou le siège plutôt. Charlène est tous les caprices gênants qu’on porte toutes et tous en nous, mais, mue par un courage qui nous fait sûrement défaut, elle exhibe sa transe. Elle semble flotter de chaise en chaise. Des chaises bien trop légères pour qu’elle puisse s’y arrimer. « Des émotions particulières. Celles qui sommeillent profondément en soi, et n’osent sortir qu’à la nuit tombée », dit-elle. Assise, projetée, malmenée ? Peut-être. Toujours est-il que : « ces maux auxquels nos sanglots apprendront à voler. », c’est bien elle qui les chorégraphie. Chaque chute, chaque tentative de rébellion est minutieusement orchestrée. La chute est brutale mais contrôlée. La manière qu’elle a d’imiter, de répéter encore et encore les tribulations mentales qui se sont emparées d’elle, ajoute une ironie salvatrice. Elle maîtrise, tout est paradoxe. Plus elle rampe, plus elle tente la répétition d’un mouvement structuré autour des 4 assises, plus elle s’élance avec violence : se donnant des claques, se frappant au thorax, vers un laisser-aller (parfaitement orchestré lui aussi), qui n’a rien d’une reddition. Avec adresse et discipline, elle nous livre sans fard quelques manifestations de ses démons. C’est à voir, ça ne s’explique pas. À la cime du parquet, au fin d’un dossier, elle se laisse prendre, et prend à corps de se montrer sous un jour « étrange et sombre », mais elle est lumineuse, virevolte et s’effondre. Elle se laisse faire dans la révolte.

 

© Estrella Pouzoulet

© Estrella Pouzoulet

 

 

Jusqu’à la nuit, par Fiona Le Goff (chorégraphie et interprète)

 

Sans concertation, Fiona prend le relais de la valse contemporaine et au cordeau de Charlène. Sa voix accompagne le début d’une fête qui donne envie autant qu’elle inquiète. Sa voix rassurante, son jogg Adidas rouge bien plié, elle retire ses sneakers, « fais les lacets (…) c’est plus joli ». Ce n’est pas une table avec service complet qu’elle prépare mais une table de régie son et lumière. « Je n’ai rien prévu de particulier. Enfin, il y a une scène tout de même, c’est pas rien. J’ai hésité à rapporter des fleurs car la maison en déborde. » On peut entendre ses pensées, mais cette version de Mrs Dalloway, préparant sa scène/maison, ne donne pas d’indications sur ses convives. De fait, ils sont déjà là. Fiona arrange l’espace et ce faisant, ses fantômes, ses failles, ses peurs s’occupent des finitions déco. Hip-hop et contemporain se mélangent. Fiona, maîtresse de maison, régissant depuis sa table de commande, est omnipotente et en proie aux espaces qu’elle crée volontairement : par des jeux de lumière. Comme si ses fantômes qui la contraignent, pouvaient être circonscrits à la faveur d’un mur rouge ou turquoise de gélatine qu’elle tente d’ériger entre elle et “eux”. Plus son mouvement se déploie, plus ils prennent en puissance. Fiona est totémique, aux 4 coins de la scène. Elle est freinée dans le rayon circulaire d’un spot qu’elle n’a pas déclenché. Écran de fumée, la salle est asphyxiée, lumières tantôt violentes, à qui voudra, chatoyantes. Geste répété. Qui est pris qui croyait prendre, la fête bat son plein et c’est tout son corps, ivre de préparation, d’avoir frayé all night long avec ses fantômes, qui est emporté. La scène si soigneusement préparée, la veste de jogging, promptement pliée… Sans dessus dessous, cette jungle, cette nuba, intime, reprend ses droits.

 

©Hélène Le Goff

©Hélène Le Goff

 

 

Enfilez vos dossards !

 

 

Nos abysses, 40 minutes, par Léa Deschaintres (chorégraphié avec Ilario Santoro)

 

Imaginez une présentatrice de JT, ou plutôt, une « entrepreneure/coach de vie/influenceuse », bref, un personnage quelque peu horripilant, quelques instants avant de monter sur la scène d’un TedTalk, prête à nous dire comment elle a fait pour « prendre sa vie en main/rentrer dans son tailleur pantalon blanc sans souci/et comment on fait pour être une putain de super nana in control ! » Une fois que vous êtes bien irrité (conseil aux millenials, dans Google, tapez : Véronique et Davina), Léa commence enfin à nous dire qui elle est réellement. « Dans ma famille, y’a pas de : ce qui compte c’est de participer, non, ce qui compte c’est de performer ! » Sans renier ses chers et tendres, Léa explique tout en se lançant dans une chorégraphie qui n’est autre qu’un cours d’aérobic so 80’s, justaucorps rose, répétitions des mouvements sculptants, comment depuis sa prime jeunesse cette injonction, intra-familialement, socialement encouragée, l’a menée à tout, sauf décrocher les goals de sa vie, aux moments opportuns. À l’école de danse, elle se lève à l’aube, avant tout le monde, elle nous hurle : « on n’est pas là pour enfiler des perles, on brûle des calories, on booste son métabolisme ! », elle se rue à la salle de sport pour sculpter ce corps que je ne saurais voir qu’optimisé, au max de son potentiel ! Toujours plus tôt, toujours plus fort, toujours plus studieuse, dans un monde de la danse où les coups bas font partie du jeu, elle excelle jusqu’au moment où : « LE chorégraphe avec qui je veux travailler fait passer des auditions sur une semaine, je passe toutes les étapes, je rate la dernière. » Elle nous parle de ses échecs, tout en ne laissant pas une seconde de répit à son corps.

 

 

De cette aliénation, elle explique la peur de se regarder telle qu’elle est vraiment. Elle se saisit d’une corde à sauter et tout en cardio, elle s’époumone sur du Lorie (2K millenials, go check on Google before buying these looks, qu’on ne voulait plus jamais voir refaire surface), et on ne peut pas s’empêcher de la rejoindre, en chant seulement : « Car je resterai ! Ta meilleure amie ! Je serai là, toujours pour toi… » Sa voix tremblante, c’est risible, et elle tient. Quand, par mégarde, la corde se prend dans ses pieds, elle lâche un : « ÉCHEC ». Sa plus grande peur, au-delà du show haletant, véritablement drôle, ne tient qu’en cinq petites lettres. Peut-être cela vous fera-t-il penser à quelqu’un.

 

© Antoine Billet

© Antoine Billet

 

 

Marathon ! – 42 minutes, par Valentin Mériot (conception, chorégraphie, interprétation)

 

Calculs savants et foulée ininterrompue. Sur une piste blanche déroulée depuis les backstages en courbe infinie, jusqu’au nez des spectateurs au premier rang, c’est une bête qui s’élance. Ce sont de réels kilomètres qui, rapportés grâce à une formule mathématique que l’on ignore (moi, en tout cas…), sont convertis en secondes et en minutes de performance. Valentin court. K-way pour transpirer au maximum, des seaux jalonnent son parcours qui n’a ni queue ni tête. Earplugs dans les oreilles, gros son électro berlinois, il court et cette course contre la montre devient une danse en cela qu’elle est décidée comme étant telle. Des mouvements de bras et arrêts sur images où le runner de l’impossible campe une position grotesque sur une jambe. Ne trouve-t-on pas en Camargue chevaux et flamants roses ? Ses mains semblent mimer le bec d’un de ces jolis bouffeurs de crevettes. Dans les seaux, c’est bien ça qu’il y a : de la bouffe, bananes, quartiers d’orange, au fil de sa course effrénée, sournoise presque, il se ravitaille, il se goinfre et crache des aliments volontairement transformés qui ressortent ruisselants d’une gélatine verte dégoulinant sur la piste vierge. Est-ce un forçat, un de ces invisibles qui nous livrent nos repas, à qui l’on donne un code en prenant le paquet, sans penser aux muscles que le bougre a fait chauffer pour l’apporter ? Muscles qu’il va solliciter toute la nuit durant, pour satisfaire aux caprices de nos semblables.

 

Le temps, toujours le temps. Valentin, qui a tout calculé, après quoi cours-tu ? Des incursions sonores de cheval qui s’ébroue ponctuent sa course à reculons. Dans le vacarme qui couvre la misère et une appréhension singulière de l’absurdité du monde. De ce monde que l’on consomme, comme le kebab, vert, dégueulasse, qu’il vient dégueuler aux pieds du premier rang. Quelle est donc cette substance étrange qui colore cette performance, celle aussi que l’on déploie, tout à chacune, tout à chacun, chaque jour passant. Le Temps gagne, à coup sûr. Un marathon. Un marathon de danse, un « cheval de souffrance »… Valentin s’épuise et nous bluffe, on ne comprend pas tout mais c’est intense. Dans cette mostration, son cœur, anatomique, est engagé, son essoufflement est éloquent. Il questionne une société dont les obsessions sont pénitences… rien n’a de sens.

 

© Jean Lefranc

© Jean Lefranc

 

 

 

Les Senn, collectionneurs et mécènes, du 16 novembre 2024 au 16 février 2025

 

 

 ©kleinefenn

©kleinefenn

 

Au sortir de cette soirée, elle-même marathonienne, cette scène partagée par les quatre jeunes artistes s’en est vue passer. Tout comme le public. Sobre, divergente et coulante… On imagine que les danseurs sont essorés. Même pas. Le lendemain, au MuMa, Charlène, Valentin et Ellie, jeune danseur partie prenante du festival Plein Phare, effectueront, avec une dose non négligeable d’improvisation, une déambulation dansée parmi les visiteurs de l’exposition temporaire qui met à l’honneur la contribution majeure de la famille Senn. Notables du Havre, entre Paris et la Normandie, les Senn ont fait un leg impressionnant à la ville. Cet engagement familial qui court depuis le 19e siècle à nos jours, permet, dans une muséographie classique, dans le très contemporain Musée André Malraux, d’aller observer les premiers impressionnistes. Entre Monet et De Staël, les trois danseurs vont composer. Par rapport aux œuvres, pour les œuvres. Ils vont augmenter l’expérience des visiteurs, avec toujours, un coup d’avance.

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