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15.10.2023 → 17.11.2023

« Fedora » de Giordano à Francfort, un thriller fort bien mené !

par Helene Adam
15.11.2023

L’Opéra de Francfort reprenait Fedora pour quelques représentations, dans la belle mise en scène de Christof Loy sous la direction énergique et inspirée de Carlo Montanaro. Une heure et quarante-cinq minutes de tension pour ce drame en trois actes.

Une reprise réussie

L’opéra de Francfort aurait dû donner la production de Cristof Loy, créée à Stockholm fin 2016, durant la saison 2020-21. Les restrictions liées à la pandémie n’ont pas permis d’assurer cette Première. Ce n’est qu’en avril 2022 que les conditions ont été enfin réunies pour cette Fedora.

 

 

La mise en scène avait été bien accueillie et cette reprise, qui a débuté en octobre 2023, réunissait de nombreux atouts gagnants.

L’œuvre, typiquement vériste, est censée arracher des larmes aux spectateurs les plus sensibles, tant le drame qui se noue est infernal et sans issue heureuse possible. Mais Giordano, s’il a écrit une partition où les roulades de timbales et les clameurs des cuivres ne manquent pas, a su aussi donner des élans romantiques et lyriques puissants et surtout offrir au personnage de Fedora, un authentique rôle de tragédienne. En évitant de grossir le trait et en laissant l’émotion s’installer peu à peu, on peut proposer une interprétation de Fedora qui, sans être chargée de trop de sanglots, est capable de toucher une corde sensible de l’auditoire qui conduit à l’émotion recherchée.

 

L’opéra de Francfort a réussi ce challenge, et si l’on en croit nombre de critiques allemands, cette série était meilleure que la précédente.

Pas de pause pour Loy à la mise en scène

S’il est courant de donner systématiquement certaines œuvres sans entracte, tel l’Or du Rhin ou Salomé, c’est plus rare pour ce drame en trois actes qu’est Fedora. C’est le parti pris de Loy dans sa mise en scène impeccable qui souligne par sa sobriété et son esthétisme, le destin inéluctable des personnages qui se détruiront mutuellement pris dans un engrenage fatal. Le spectateur n’aura donc pas le loisir d’aller boire sa bière ou sa coupe de champagne, manger son bretzel et discuter avec les amis. Il devra subir les étapes de cette catastrophe annoncées sans reprendre son souffle.

Et il faut reconnaître que l’on ne s’ennuie pas une seconde tant la tension est forte et continue, et qu’on ne se laisse pas distraire par quoi que ce soit d’autre que cette montée des périls si bien illustrée.

 

Le décor principal unique représente une sorte d’antichambre flanquée à cour et à jardin de deux portes à chaque fois, l’une principale, l’autre dérobée et dont l’ouverture est dissimulée dans la tapisserie, avec guéridon chic, chaises recouvertes de velours. Le panneau du fond est composé pour l’essentiel de sa surface d’un rectangle encadré en quelque sorte, qui va évoluer au cours des actes et notamment illustrer les changements de lieu, la vision de plusieurs scènes en même temps ou les rêves des personnages.

 

C’est astucieux et techniquement très bien maîtrisé. Ce qui nous donne, par exemple à l’acte 2, le pianiste (le meilleur depuis Chopin) jouant sur une arrière-scène visible par cette ouverture, au milieu d’admirateurs, admiratrices, prenant d’élégantes poses autour de lui, le tout formant un véritable tableau vivant tandis qu’au premier plan, Loris se voit démasquer en tant que meurtrier de Vladimiro, le mari de la comtesse Fedora. L’arrivée du comte mortellement blessé à l’acte 1 est également d’ailleurs l’objet d’une vision sous forme de film en noir et blanc projeté dans ce cadre, et qui apparait quand Fedora disparait derrière l’une des portes, comme si nous suivions son périple.

L’utilisation de la caméra pour suivre ce qui se passe dans les autres pièces, donne une vision presque cinématographique d’une œuvre qui s’y prête fort bien et renforce le dynamisme dont elle est naturellement porteuse. D’autant plus que cela permet des visions en gros plan (et en direct) des émotions des personnages et notamment de ceux de la comtesse, ce qui est admirablement rendu.

L’acte 3, celui où le drame se noue tandis que l’action s’accélère pour se concentrer sur les derniers instants de la comtesse, débute dans le cadre idyllique de la montagne où les amants ont trouvé refuge, pour se terminer à l’avant de la scène tandis que la nature a disparu laissant place à un horizon sombre et bouché.

 

La direction d’acteurs est excellente et les « respirations » humoristiques et plus légères qui ponctuent le drame, notamment lors des interventions d’Olga Sukarev et de De Syriex, qui les montrent très entreprenants, sont très bien traitées.

Montanaro à la baguette, Stefanoff en Fedora

Nul doute que la direction musicalement très intelligente de Montanaro y est pour beaucoup. Il sait donner des couleurs exceptionnelles à cette musique, lui évitant tout côté « fanfare » pour en souligner les thèmes et leurs reprises, valoriser le jeu des différents instruments, dont il salue d’ailleurs les performances individuelles par un exercice de mimes assez amusant, qui conduit le public à redoubler d’applaudissements.

Et sa battue vivante et sans excès semble stimuler les chanteurs dont il prend grand soin, notamment le rôle-titre, assez meurtrier pour la soprano qui tient la scène durant l’essentiel des 105 minutes que dure l’œuvre.

 

Le rôle de Fedora a été interprété par les plus grandes sopranos, telles Mirella Freni ou Renata Scotto et récemment Sonya Yoncheva successivement à la Scala de Milan et au Met de New York. À Francfort le rôle est brillamment tenu par la soprano allemande Nadja Stefanoff qui habite littéralement le personnage de cette comtesse passionnée, amoureuse, inflexible et qui préférera se détruire que de voir son amour la haïr et la condamner. Vocalement, elle assure la partie du début à la fin sans faiblir une seule fois, offrant son timbre capiteux aux lignes musicales audacieuses de la partition. Les aigus sont harmonieux, le médium solide et l’ensemble ne souffre d’aucun défaut de diction. Pilier de la représentation, elle vaut le déplacement à elle seule et reçoit une très belle ovation aux saluts.

Le ténor Alfred Kim, qui chante beaucoup en force et n’offre pas les nuances de sa partenaire, est moins convaincant notamment dans les aigus « spinto » typique du vérisme où la voix souffre d’un effet de saturation, montrant les limites du chant en mode « forte » permanent. Même le célèbre air « Amor ti vieta », tube des ténors glamour, n’a pas suscité l’enthousiasme attendu de la part du public.

 

L’ensemble des autres rôles a été parfaitement bien tenu : Mikołaj Trąbka incarne un De Siriex d’une voix volumineuse de baryton, qui sait garder une très belle ligne de chant et beaucoup d’élégance dans la prestation. Bianca Tognocchi dans le rôle d’Olga Sukarew est vive, rapide, drôle et très bien chantante. Frederic Jost impressionne dans le rôle de Gretch l’inspecteur de police, avec sa voix de basse très sonore.

 

Le pianiste virtuose de l’œuvre est tenu par le pianiste Mariusz Kłubczuk qui se glisse parfaitement dans la peau du personnage avec naturel et efficacité, dans l’une des scènes les plus réussies de la soirée. Et comme toujours, l’Opéra de Francfort prouve l’excellence de son ensemble de solistes, de sa troupe permanente, qui lui assure tant de rôles secondaires de très bonne tenue et qui forment une véritable équipe.

 

Une soirée courte et intense, qui avait attiré beaucoup de jeunes, et peut se laisser voir avec plaisir par des spectateurs novices tant la mise en scène est lisible pour une histoire qui s’apparente à un thriller mené tambour battant.

Fedora d’Umberto Giordano – Première de cette production à l’Opéra de Francfort, le 3 avril 2022

Visuel : © Barbara Aumüller