Scènes

FaustX de Brett Bailey : un moment rare et fort

par Julia Wahl
01.11.2025

Un moment rare, d’une grande force esthétique : telle est l’adaptation du mythe de Faust par Brett Bailey, qui fait voyager le public dans un univers plastique jusque là insoupçonné.

Weimar, Goethe et Faust : quelle triade plus attendue ? C’est en effet le Kunstfest de Weimar qui a proposé à Brett Bailey d’adapter le Faust II du fondateur du Sturm und Drang. Avec, toutefois, une injonction paradoxale : s’en emparer sans « hésitation ni scrupule », sans craindre de le couper, de le trahir… Bref, de continuer à maintenir ce mythe vivant.

Une adaptation forte et personnelle

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette carte blanche n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd : le metteur en scène sud-africain malmène avec un grand bonheur l’histoire du savant allemand, nous rappelant par ce seul geste que les pièces de Goethe étaient déjà des modernisations d’un mythe pluri-centenaire, que l’on trouvait par exemple sous la plume de Marlowe. Depuis, Valéry et Thomas Mann nous avaient proposé leur propre version, mais aussi, au cinéma, le réalisateur de Nosferatu, Wilhelm Murnau.

C’est d’ailleurs par des images du film que commence la pièce de Brett Bailey. Celles-ci sont projetées sur un écran ondulé, à la manière d’un rideau de cinéma. L’allemand du film est sous-titré en français sur la même toile ondulée, symbole à elle seule de la théatralisation en cours du film. Devant, un petit plateau aux allures d’étroit proscenium, recouvert de quelques plantes et d’une étrange marionnette. Le plateau s’ouvrira par la suite, toujours clos en son fond de scène par cet écran ondulé.

Une esthétique étrange et dérangeante

Le rapport entre scène et écran est ici remarquablement pensé : les images projetées, qui vous conduisent en Asie, en Afrique du Nord ou en Afrique subsaharienne, s’insèrent dans le spectacle de chair et d’os qui se déroule sur scène sans aucune solution de continuité. Jamais cet écran ne vient perturber l’attention du public ou faire de l’ombre aux acteurs et actrices, pourtant peu mobiles. En véritable plasticien (on se souvent de son exposition Exhibit B), Brett Bailey crée de véritables tableaux étranges et dérangeants, mais aussi étrangement attirants.

Eléments phares de ces scènes quasi immobiles, des masques triangulaires et rectangulaires, qui imitent le bois de masques traditionels, recouvrent le visage des interprètes. Quant aux gestes de ces derniers et dernières, ils sont d’une grande lenteur, suivant le rythme des images qui défilent derrière elleux. Cette harmonisation rythmique, soutenue régulièrement par la musique, participe de cette fluidité avec laquelle les images de l’écran se fondent dans celles de la scène et celles de la scène dans les images de l’écran.

Mais, de quoi parle FaustX ? N’était le masque du personnage principal, où l’on reconnaît les traits d’Elon Musk, l’on serait bien en peine de le dire. Certes, des faux sous aux allures de bitcoins pour enfants apparaissent à certains moments, quand d’autres montrent les guerres de colonisation contemporaines soutenues par les grands groupes de la tech, laissant envisager la charge politique de la pièce : la démesure des grands patrons a remplacé celle du savant médiéval. Quant à déceler une trame précise, voilà qui est moins aisé. Et peu importe en vérité : Brett Bailey nous propose avec son Faust un spectacle exceptionnel, qui mêle avec merveille différents univers tout en les inscrivant dans une esthétique personnelle forte. Le reste n’est que littérature !

Brett Bayley, FaustX. Aux Amandiers jusqu’au 2 novembre.

Visuel : © Candy Welz