« Entre chiens et loups », la parenthèse enchantée du Théâtre du Centaure

Le Centaure au Théâtre de la mer

Une ouverture d’un ancien fort Vauban sur la Méditerranée : tel est le Théâtre de la Mer – Jean Vilar de Sète. Une fortification qui servit, selon les nécessités du moment, de lazaret ou d’hôpital, avant que de devenir un théâtre en 1960, idée dont la paternité revient à Vilar. La ville de Sète y programme désormais des festivals tout au long de l’été et y accueille des spectacles hors-les-murs du Théâtre Molière – Scène nationale archipel de Thau.

C’est en effet Sandrine Mini, directrice du Théâtre Molière, qui eut l’idée de proposer pour cette année une création du Théâtre du Centaure, Entre chiens et loups. Le Théâtre du Centaure, c’est cette utopie sise à Marseille, où Camille et Manolo, qui ont dû être jument et cheval dans une vie antérieure, ont construit cet espace incroyable qui relève à la fois du théâtre et du haras.

Camille et Manolo, ce sont avant tout des créateur.rices de ponts. Ponts entre l’humain et le reste du vivant, mais aussi entre le théâtre et le monde que la société en a exclu : fermement ancré.es dans leur territoire, iels travaillent régulièrement avec les jeunes des maisons de quartier ou les détenus des Baumettes. Un engagement qui est au cœur de leur création.

Pour l’heure, iels ont donc pris possession du Théâtre de la Mer pour un spectacle qui fait de la réunion son projet : entre chiens et loups, c’est bien sûr cette heure particulière où le jour devient nuit, mais aussi un manifeste pour créer un lien entre animaux sauvages et domestiques, entre l’être humain et la nature qui l’environne.

Une parenthèse de douceur

Un léger vent fait frémir les cheveux. Les dernier.es spectateur.rices prennent place. Le vol de quelques oiseaux fissure le ciel.

Une voix, dont la source est d’abord invisible, se fait entendre. Une voix douce aux légers vibratos. Du fond des gradins, en robe blanche, apparaît un jeune homme. Il chante, un livre à la main et déambule lentement en direction de la scène recouverte de sable pour l’occasion. Les quelques arrêts de sa marche sont autant d’occasions de tendre l’oreille pour mieux entendre les vers.

Une femme apparaît alors, dans une jupe rose d’un blanc tirant vers le rose. Avec son gilet en velours noir et son chapeau d’élégante de la Belle Epoque, elle semble tout droit sortie de La Recherche : l’on cherche en vain une calèche pour la mener à Balbec. Mais en fait de Grand Hôtel, c’est de l’autre côté de la scène qu’elle trouve place, derrière un piano à queue qui surplombe le bleu de la mer. Walid, le chanteur, la rejoint. Une légère douche vient éclairer le piano, mettant la musique en lumière.

La réunion des contraires

De la cour entre Camille, en robe noire sur un frison noir, ces chevaux aux larges pattes. La rejoint Manolo, sur un cheval noir également, mais à la silhouette plus fine, plus élancée. La chorégraphie en est transformée, qui unit en un même geste un Fred Astaire et un Gene Kelly équestres.

Entre chiens et loups travaille ainsi les oppositions, sans pour autant souligner les contrastes. Il s’agit bien plutôt de créer du liant entre les deux extrémités d’un spectre. Cela concerne la corpulence des chevaux et des centaures qu’ils forment avec leurs cavaliers, mais aussi la création lumière, qui passe du jaune soleil à l’ocre sombre avant de laisser place à du blanc mat, mais léger, qui laisse la tombée de la nuit assombrir les lieux.

La musique, composée par Agathe Di Piro et Walid Ben Selim – l’élégante et le chanteur –, opère également d’insensibles modulations, de la lenteur à des moments plus primesautiers, qui entraîne les chevaux dans un trot sautillant. Elle sait aussi se taire pour laisser place aux vers de Mahmoud Darwich que Walid Ben Salim lit au micro, face public. L’on sort de cet instant suspendu avec le sentiment enchanteur d’avoir assisté à la réunion des contraires.