Dans la grande salle de l’Athénée Louis-Jouvet, Émeline Bayart, s’emparant de la pièce de Jean Anouilh, La culotte, a construit un spectacle d’une grande qualité artistique. Elle ose et invente. Elle fait œuvre. Elle en-chante le public.
En 2021, à l’Atelier, Émeline Bayart nous avait comblés avec sa reprise d’un Feydeau truculent : On purge bébé. Elle y mêlait théâtre, chanson, rires et music-hall. Sa création à l’Athénée, en 2023, de l’opérette Ô mon bel Inconnu, finissait de nous préparer au feu d’artifice que constitue La culotte. Comme une suite à ces succès et toujours dans la même veine, elle crée à partir du texte d’Anouilh un spectacle formidable. Le résultat extasie.
La pièce, par son argument, est succulente. L’intrigue est une amusante utopie : les femmes ont pris le pouvoir et souhaitent désormais émasculer tous les hommes soupçonnés de phallocratie. En 2023, la critique sociale du sexisme et du machisme s’essoufflerait vite cependant s’il nous fallait compter sur l’inventivité, l’audace et la gouaille d’Émeline Bayart aux talents de comédienne chanteuse. Depuis sa création, en 78, à l’Atelier, les mœurs et les pensées se sont métamorphosées. La Culotte met en lumière une guerre des sexes terrifiante et cruellement drôle où la farce visionnaire côtoie le cauchemar. Les chansons ponctuent la chose avec bonheur et déclenchent des joyeux applaudissements.
Si Anouilh dénonce dans cette pièce la folie et la décadence d’un système, Émeline Bayart exploite l’humour, et sa propre puissance comique, pour transmettre le message sous lequel tout est en état de s’inverser : les rôles de genre, la hiérarchie sociale, le haut et le bas, l’endroit et l’envers.
Elle s’explique :
« Par le biais de l’humour et de saynètes chantées ajoutées dans l’esprit de l’auteur et afin de déployer l’onirisme tantôt lyrique, tantôt acerbe de l’œuvre, nous rendrons compte d’un monde qui vacille. Le spectacle s’inscrit dans une esthétique singulière et atemporelle, permettant d’éclairer. »
Émeline Bayart s’inspire de la force poétique du Satyricon de Fellini et de l’âpre, mais hilarant Affreux, Sales et méchants d’Ettore Scola. Le résultat est du grand spectacle.
Au lever du rideau, Émeline Bayart lance la fête avec une chanson hilarante. Elle sera la maitresse d’une cérémonie utopiste, judiciaire et décalée. La scénographe Anne-Sophie Grac épouse le trait et inscrit l’ensemble, dont les fabuleux costumes, dans un univers fantasmagorique où chaque césure n’annonce que le foutoir général. Christophe Canard, Marc Chouppart, Thomas Da Costa, Marc-Henri Lamande, Corinne Martin, Laurent Ménoret, Herrade von Meier sont tous géniaux de précision et de bouffonnerie. Il ne faut pas rater Laurent Ménoret en juge drag queen ou, encore, Marie-Henri Lalande en femme pianiste agacée, ou Christophe Canard en avocat fantasque. Il ne faut surtout pas rater Émeline Bayart dans ce qu’elle sait faire de mieux : nous faire rire en chansons !
La culotte à l’Athénée-Louis Jouvet – Texte Jean Anouilh • Mise en scène Émeline Bayart
Avec Émeline Bayart, Christophe Canard, Marc Chouppart, Thomas Da Costa, Marc-Henri Lamande, Corinne Martin, Laurent Ménoret, Herrade von Meier.
Crédit Photos © Caroline Moreau