Un premier geste chorégraphique. Dans son solo Idée, le Marocain Abdel Mounim Elallami, inconnu au bataillon, développe une danse miraculeuse de sobriété et de densité. De justesse.
C’est des trucs qu’on ne voit quasiment plus. Les plaquettes de programmation avaient été envoyées depuis longtemps. La billetterie déjà prise d’assaut. Or, seulement alors est publié un communiqué de la direction du festival Montpellier Danse. Lequel annonce le rajout d’un spectacle, en dernière minute. C’est à rebours de toute la tendance structurelle, les contraintes matérielles, techniques, budgétaires, calendriers de tournée, disponibilité des salles, agendas croisés des intermittents. Institutionnalisation généralisée. Etc.
Dès la conférence de presse de clôture d’une édition festivalière, Jean-Paul Montanari, directeur, se fait un plaisir de laisser entendre que sa programmation est déjà bouclée, pour l’année suivante. Dans douze mois… Exception donc, que la présentation annoncée en dernière minute, du solo Idée, par le jeune danseur et chorégraphe marocain Abdel Mounim Elallami. Accueilli en résidence de recherche dans les locaux du festival, c’est au vu du rendu final, alors simple étape, que la directeur programmateur conclut à la nécessité d’offrir à ce projet toute sa chance.
Observer son geste, le ressentir comme une perle cristalline, nous aura comme lavé le regard. Lavé de la sensation laissée par trop de pièces, trop nombreuses, semblant marécageuses, limoneuses, enflées et stagnantes en stase au milieu du gué. La sobriété, déjà vestimentaire, est la sensation toute prévalante, qui émane de ce solo. Le danseur conduit une danse debout, sur de très simples trajectoires diagonales, empruntées de l’avant, de l’arrière. Et arrêts.
On aimerait rester très sobre en mots aussi. Juste décrire, vite au début, après que ses bras, et sa dentelle de mains, se soient lentement élevées au-dessus de sa tête, une fine coulure du mouvement, comme naturellement vers le sol, déteignant calmement, d’une énergie de fibres épousant des lignées tressés à travers membres, buste, bassin. Ainsi s’agit-il de laisser advenir la danse, comme une caresse de propagation intérieure, une orchestration sourde mais exacte de densités. Cela sans tapage, sans emballement, dans une totale tranquillité de rythme et de trajectoire.
Il ne s’agit en rien d’extraire la danse, la projeter et l’exposer, comme pour manifester une danse qui ne ferait rien d’autre que montrer de la danse à voir. On entend un silence de corps, une pondération discursive, limpide. Autre exemple de brève séquence qui dit tout, on se surprendra plus tard à plonger dans l’observation d’un simple roulé d’épaule, par lequel, suffisament pour si peu, on perçoit un être tout entier en train de vivre. De vibrer dans le vivant. Dans sa retenue sereine, Abdel Mounim Ellalami pratique volontiers les isolations de segments corporels, pour mieux composer une écriture dont tous les motifs se déroulent dans la clarté.
Mais n’allons pas y voir un genre de sérénité bêtement satisfaite. Tout semble au contraire relever d’une quête, par le geste soupesant une densité d’être, en question semble-t-il, face à tous les paramètres culturels, sociaux, moraux, religieux, à envisager. Cette danse communique la matérialité tensionnelle d’une conscience en actes. Abdel Mounim Ellalami ne provient pas de rien. Sur la feuille de salle, on le voit défini comme étant également vidéaste et photographe. Cela n’est sans doute pas pour rien dans l’intelligence lumineuse qui l’anime au moment de produire une danse qui sait s’observer elle-même, comme en état de suspension critique.
On notera encore que son parcours artistique doit beaucoup au développement de la danse contemporaine marocaine, tel qu’a su le prendre en main avec vigueur son compatriote et collègue Taoufiq Izzediou, impulsant festival et formation à Marrakech. Or justement, la veille même, dimanche 30 juin de signification lourde, on avait découvert toute une trilogie d’Izzediou lui-même, avec moults interprètes. On s’était réjoui de se frotter à une danse marocaine rayonnante de puissance communicative, comme une altérité nécessaire de la jeunesse d’un autre monde voisin.
Certes. Mais dans la soustraction de toute surcharge, c’est Abdel Mounim Ellalami qui aura su rajouter la note d’une haute portée phisosophique. Et qu’on ne crie pas à la posture snob, du fait que le solo Idée, cardinal, n’ait pu être vu, un lundi après-midi dans un studio de travail de l’Agora de la danse, que par une poignée de spectateurs.
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