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15.11.2024 → 23.11.2024

« Don Giovanni » de Mozart à l’Athénée : viva la libertà !

par Helene Adam
17.11.2024

Un Don Giovanni jeune et dynamique où orchestre et chanteurs fusionnent allègrement dans une mise en scène fluide de Jean-Yves Ruf, le tout dans ce petit bijou du théâtre de l’Athénée. À ne manquer sous aucun prétexte !

Une belle mise en scène très dynamique

Pour ce Don Giovanni, la compagnie de théâtre lyrique l’ARCAL, a atteint son objectif, celui de rendre l’opéra vivant en touchant tous les publics. L’écrin du théâtre à l’italienne de Louis Jouvet, situé près de l’opéra Garnier à Paris, est un lieu idéal pour cette mise en scène sans temps morts et pour l’orchestre du Concert de la Loge dirigé violon à la main par Julien Chauvin et pour cette excellente troupe de jeunes chanteurs très prometteurs.

 

Jean-Yves Ruf, avec Laure Pichat et Julien Girardet, nous offre une très belle réalisation avec la mise en place un dispositif scénographique astucieux et réussi, sachant s’adapter intelligemment au lieu comme au style de l’œuvre. La fosse est supprimée et la scène est agrandie et surmontée d’une sorte de passerelle reliée au plateau par un escalier/échelle sur le côté.

La mise en scène offre le mouvement nécessaire  au déroulé des « aventures amoureuses » de Don Giovanni, les récitatifs sont valorisés par des saynètes très bien jouées et très évocatrices, les arias donnent place et aisance aux artistes pour leur réalisation dans des conditions optimales.

En effet, les chanteurs peuvent se retrouver sur la passerelle, dans l’escalier ou au niveau « bas » celui de l’orchestre et déambulent alors entre les instrumentistes ou carrément sur le devant de la scène, devant même le chef, qui a, fort à faire pour diriger tout le monde, tout en jouant du violon !

Les courses-poursuites et jeux de cache-cache dont l’opéra regorge sont particulièrement bien illustrés dans ce cadre à plusieurs niveaux, où les déplacements sont quasi-permanentes, le tout avec beaucoup de souplesse et de savoir-faire et une direction d’acteurs de premier plan. Dans ses choix d’interprétation, Ruf donne à Don Giovanni un caractère particulièrement cynique et gourmand, mais aussi souvent pathétique tandis que Leporello campe un valet bien plus intelligent que ne le croit son maître et particulièrement roublard pour se sortir des situations périlleuses où le place régulièrement son impitoyable maitre. Et c’est sur ce duo très réussi que se greffe l’ensemble des autres protagonistes, qui vont et viennent et dont aucun ne ressortira vraiment indemne de l’aventure.

Rarement la musique et le chant ont paru aussi interactifs qu’avec ce dispositif qui permet de surcroit de voir les chanteurs de très près et d’apprécier totalement leur magnifique jeu scénique, les expressions de leurs visages, de saisir leurs gestes tout en profitant de leur chant directement et au plus près du public.

Les lumières que l’on doit à Victor Egéa, donnent une atmosphère douce qui évoque l’éclairage à la bougie ou à la lampe à pétrole d’autrefois et quelques coups discrets de projecteur permettent de ne jamais perdre de vue les protagonistes dans leurs multiples mouvements. Les costumes de Claudia Jenatsch sont sobres et de bon goût, mariant les taches de couleurs des robes des deux dames au noir dominant des vêtements des hommes, les deux jeunes fiancés étant vêtus de blanc comme il se doit. Il n’y a pas de décor, mais ce n’est pas nécessaire, vu l’occupation par les instrumentistes de l’espace, le haut n’étant qu’une passerelle.

Le concert de la Loge entre douceur, humour et drame

Julien Chauvin, dont nous avons récemment apprécié le Requiem de Mozart au Théâtre des Champs Élysées, a la particularité de diriger et de jouer du violon en même temps. Laurent Muraro rappelle à ce sujet dans un article fort intéressant, intitulé « Défense et illustration de la direction au violon », que la fonction de chef d’orchestre a beaucoup évolué au cours des âges, y compris pour l’opéra pourtant le plus difficile à coordonner. On pouvait avoir ainsi à Vienne un « Operndirektor » dirigeant surtout les chanteurs du plateau dos à l’orchestre, et un « Orchesterdirektor », en fait le premier violon.

Il arrive à Julien Chauvin de poser son violon dans les moments les plus difficiles à diriger comme les « ensembles » – fort réussis- de ce Don Giovanni, mais généralement sa propre virtuosité d’instrumentiste donne un élan et un éclat particulier à l’impulsion qu’il transmet aux musiciens.

Le Concert de la Loge comporte un effectif pas si réduit que cela malgré l’exigüité des lieux (conforme à ce qui se pratiquait à l’époque de Mozart) et des instruments d’époque qui ont le défaut de sonner un peu « mat » au démarrage, mais qui, ensuite, sont absolument merveilleux dans le son soyeux qu’ils rendent. L’harmonie générale recherchée par Mozart et Da Ponte, atteint un très bon niveau, que ce soit lors des récitatifs accompagnés du seul piano en guise de continuo, lors des arias brillamment soutenus par l’orchestre qui ne couvre jamais les chanteurs, et lors des duos, quatuor, sextuors qui font une partie de la richesse musicale d’une partition exceptionnelle. La « Sérénade » de Don Giovanni est accompagnée par une véritable mandoline (ce qui est rare et vraiment appréciable) avec de délicats pizzicati des violoncelles en contrepoint.

Et pour ceux qui pourraient craindre un moindre impact du Mozart tragique qui s’invite dès l’ouverture et revient à plusieurs reprises malgré le caractère globalement ludique de la composition, il faut préciser qu’au contraire, cet orchestre sert admirablement autant l’amusement que le drame. Les accents donnés illustrent de manière impressionnante les moments « climax » que Mozart composait alors, montrant l’évolution de son art, hélas brutalement interrompu par sa mort prématurée.

Le tout est renforcé par le choix de couper le septuor final « Questo è il fin » arrêtant net l’opéra lors de la mort spectaculaire de Don Giovanni, qui refuse de se repentir.

Malgré la beauté de cet ensemble très harmonieux, qui tire la « morale » de l’histoire, finir par le châtiment d’un Don Giovanni voué aux flammes de l’enfer, créée toujours un choc pour le spectateur qui donne un sens particulièrement dramatique à ce « dramma giocoso » considéré à juste titre comme l’un des plus grands opéras de tous les temps.

Un plateau vocal de jeunes talents !

Le « chœur » est composé de 4 chanteurs, Inès Lorans, Alexia Macbeth, Corentin Backès, Samuel Guibal très habiles à donner l’impression d’être beaucoup plus nombreux tant ils sont omniprésents aux quatre coins du plateau, tous vêtus de noir, mais portant des masques bienvenus lors du très réussi « presto, presto » incluant le trio des masques.

C’est à leurs très belles performances que l’on se rend vraiment compte à quel point le dispositif resserré et admirablement dirigé par Chauvin produit autant d’effets d’un effectif vocal et instrumental plus touffu et qu’on a là la réussite d’une sorte de très belle miniature, sans doute plus proche des pratiques de l’époque que de celles que l’on a pu voir par exemple dans le grand hall de la Batille.

Les chanteurs ne sont pas des voix « immenses », mais vu la taille de la salle c’est parfait : de trop grands volumes satureraient rapidement l’espace de l’Athénée. Les voix sont donc idéalement adaptées au lieu et nous insistons sur l’avantage artistique et émotionnel que représente pour les chanteurs comme pour le public, le fait de les sentir parfaitement à l’aise, jamais obligés de « forcer » et en harmonie avec leurs compagnons instrumentistes.

 

Le duo extraordinaire de justesse, de drôlerie, de pertinence, formé par le Don Giovanni de Timothée Varon et le Leporello de Adrien Fournaison forme une colonne vertébrale solide autour de laquelle tourbillonnent les autres dans une sorte de maelstrom enchanté. C’est vigoureux, rapide, énergique, efficace et c’est très bien chanté et joué. Belles voix, beaux timbres, gouaille et engagement comique efficaces, les deux compères se donnent la réplique avec talent. On félicitera la vis comica exceptionnelle d’Adrien Fournaison tandis que Timothée Varon passe de la légèreté à la gravité avec une aisance confondante, prouvant que la maitrise d’un rôle difficile est déjà acquise pour ce jeune artiste. C’est un baryton que nous avions déjà remarqué comme l’un des meilleurs artistes actuels de l’Académie de l’Opéra de Paris qui nous avait éblouis lors du gala mémorable de janvier 2019 à Garnier.  C’était également le cas de la soprano Marianne Croux dans une Manon de très belle facture. Ici elle est une Donna Anna dont la technique virtuose époustouflante alliée à une interprétation colorée et sensible, créée d’intenses moments d’émotions. Et l’on ne sait que souligner tant ses grands airs sont impressionnants de justesse et de profondeur, exprimant sa peur, sa colère, son indignation au travers de périlleuses vocalises, trilles et autres ornementations d’une beauté saisissante de son duo d’entrée avec Don Ottavio, jusqu’à son étourdissant en passant par son « Or sai chi l’onore », et surtout son « Non mi dir, bell’idol moi » qui met la salle en transes.

 

La Donna Elvira de Margaux Poguet a beaucoup de qualités également même si la voix, très ample et très bien projetée, accuse parfois un peu plus de difficultés dans les vocalises, mais offre, elle aussi, une belle interprétation scénique et une incarnation colorée, changeante, riche de cette femme qui a tellement envie de croire à l’amour de Don Giovanni. La soprano Michèle Bréant est une Zerlina tout à fait charmante, voix légère et agile qui sied au rôle, et engagement scénique qui la rend amusante et sympathique aux prises avec son lourdaud de Mazetto et réussissant fort bien le « Batti, batti, o bel Masetto ».

 

Quant au Don Ottavio du très attendu du ténor Abel Zamora, s’il n’atteint pas encore les sommets des meilleurs Ottavio du moment (le rôle a été investi notamment par Michael Spyres avec lequel il est difficile de rivaliser), il réussit cependant une belle prestation et son air « l mio tesoro intanto» est chaleureusement applaudi. Le timbre est beau et chaud, la présence sur scène en phase totale avec le rôle, il a une allure juvénile assez rare dans ce rôle et fort plaisante, bref, bravo à lui.

 

Le Mazetto de Matthieu Gourlet est une bien sympathique découverte, avec son allure de Depardieu jeune, il est parfait dans le rôle, un peu gauche, très amoureux, très bien chantant et très expressif. N’oublions pas non plus le Commandeur impressionnant de Nathanael Tavernier qui complète fun très beau lot de clé de fa très prometteur !

 

Le public très nombreux était manifestement totalement séduit par ce Don Giovanni qui ne ressemble guère aux grandes productions de la même œuvre généralement données dans de grandes salles parfois déshumanisées. C’était un immense plaisir et le résultat d’un souci d’authenticité que nous avons beaucoup apprécié.

Don Giovanni Wolfgang Amadeus Mozart, Lorenzo Da Ponte

 

Visuels : © ARCAL / Théâtre Athénée