Yinka Esi Graves dégenre le flamenco à Avignon

« Mesdames et Messieurs, bienvenue chez Lala, lalalalala »

Elle apparaît comme une disparition ; on comprend là immédiatement le titre du spectacle, en français, l’acte de disparaître. Et pourtant, cette pièce est l’inverse d’un effacement, elle est un focus sur un corps qui surgit sur l’espace immense de la cour du Lycée Saint-Joseph. Elle apparaît en filigrane derrière un lustre fait de fils lumineux. Autour d’elle, on devine, dans la pénombre, un guitariste, une chanteuse et un batteur. Le son arrive après. Il y a elle d’abord elle, qui annonce ses bras légers et puissants à la fois, qui présente ses jambes tendues telles des épées. Elle a à peine commencé à bouger que nous sommes subjugé.e.s.

La pièce est un hommage à Mademoiselle LaLa, artiste de cirque afrodescendante immortalisée par Degas au XIXe siècle. Yinka est, elle, une artiste de danse afrodescendante qui va être immortalisée par le monde de la danse. Elle vit à Séville ; sa famille est originaire du Ghana et de la Jamaïque. Ses mouvements dont la clé de voute est le flamenco se fondent dans ces villes et ces pays.

« Je suis un métamorphe, je marche sur les lignes. Je cherche à disparaître »

Elle teinte ses zapateados de claquettes, son dos plonge en arrière dans une esthétique voguing, et ses mains – mon Dieu, ses mains – sont des monuments de dextérité qu’elle accélère comme des éventails, qu’elle cabre comme des murs repoussant le racisme. Sa présence inonde et irradie. Lumineuse, elle excelle dans sa danse profonde, fluide et follement rapide. En bonne technicienne aussi, elle trace les traits qu’elle souhaite brouiller, et sait poser des pivots keersmaekassiens.

« Efface tes origines »

C’est la première fois que nous la voyons danser. La voir fait l’effet d’un choc, le même que l’on a eu lorsque nous avions découvert Israël Galvan ou Marlene Monteiro Freitas. Sa personnalité est un geste en soi. Dans son mélange, The Disappearing Act est tout de même du flamenco pur, car le flamenco est une danse non monolithique. Il est né dans les villes, il croise la musique, le chant et la danse. En s’accompagnant de Rosa de Algeciras au chant, au son de la guitare de Raúl Cantizano, et de Remi Graves à la batterie, elle provoque aussi des sons africains qui existe dans l’histoire du flamenco – ce qui a été oublié. Yinka Esi Graves redonne ses racines plurielles à cette danse, et cela fait flotter un vent de frais sur les écritures chorégraphiques.