Michael Turinsky est un artiste viennois en situation de handicap. Une fois que l’on a écrit cela, on n’a rien dit. Pourtant, c’est ainsi que commence la présentation de cet interprète hors du commun, repéré depuis de nombreuses années sur la scène autrichienne, mais encore inconnu en France. Il présentait, en ouverture du festival finlandais Moving in November, son solo augmenté intitulé Work Body, une pièce intense qui a mis au travail tout un public happé par ce danseur à la présence solaire.
Nous entrons dans un grand espace, les sièges ont été repliés. Tian Rotteveel est debout derrière ses platines, il ne s’occupera que du son, une nappe électronique enivrante, et de projeter les traductions des mots prononcés par Michael Turinsky. L’espace n’est pas vide pour autant : ici, une flaque d’eau se forme, bien délimitée ; là, un parpaing semble attendre qu’un mur se construise au-dessus de lui ; plus loin, une brouette remplie à ras bord de bières sans alcool, quelques bouts de podium, un marteau. De grands textes, allongés sur les gradins, portent fièrement des paroles anticapitalistes.
Et puis il apparaît. Vêtu d’une salopette en jean, il pousse un transpalette. L’outil est imposant, il demande de la place, et pour la première fois d’une longue série, le public va devoir bouger en fonction de lui.
Lui, au premier regard, a une allure fragile : ses jambes semblent ne pas le soutenir et ses bras ne pas lui obéir. Il démonte aussitôt tous les stéréotypes, nous annonce que oui, s’il avait pu, il « aurait construit sa propre scène », puis se lance dans une séance de remerciements qui rappelle, l’air de rien, que pour exister, un spectacle a besoin d’une grande dose de collectif. La pièce condamne la rapidité du capitalisme face à la patience qu’exige l’intégration d’un corps handicapé dans une société formatée. Pendant ce temps, il avance, danse, maîtrise ses épaules et ses chevilles, désormais en fauteuil, roule où il veut et nous entraîne comme des vagues.
L’attention autour de lui est hypnotique. Il fédère et envoûte par ses gestes de presque rockeur, le fil du micro enroulé autour de lui, à moins que l’image soit plus mystique. La pièce se réfère à un poème que Pasolini a écrit pour Gramsci, l’occasion pour Michael Turinsky de rappeler que le philosophe était lui aussi en situation de handicap, mais que l’histoire n’a retenu que son engagement communiste.
Work Body interroge la notion de corps au travail, devenu corps blessé, toujours poussé à bout. « Le travail rend libre », avaient inscrit les nazis sur le fronton d’Auschwitz. Michael Turinsky, reprenant à son compte la figure de l’ouvrier, condamne la mainmise productiviste sur tous les corps, pas seulement ceux dits empêchés. Il danse encore, jusqu’à se rouler au sol, et surtout, ne choisit pas entre le mouvement, la parole et le chant dans cette proposition qui prend parfois des allures de concert.
Michael Turinsky aimante de sa présence lumineuse, subjugue par ses capacités techniques, parvenant à maîtriser ses bras et ses mains jusqu’aux gestes les plus précis, comme, pourquoi pas, tenir une tronçonneuse pour faire jaillir de la beauté au milieu de la laideur.
Work Body on itävaltalaisen koreografin Michael Turinskyn voimakas ja poeettinen teos, joka avasi Helsingin Moving in November -festivaalin. Teoksessa Turinsky, itse fyysisesti vammainen taiteilija, tutkii työn, kehon ja kapitalismin välistä suhdetta, ja sitä, miten yhteiskunta syrjäyttää “toisenlaiset” kehot. Hänen esiintymisensä yhdistää tanssia, ääntä ja laulua, tehden niistä sekä poliittisen että syvästi inhimillisen kokonaisuuden. Turinskyn läsnäolo on vangitseva: hän muuttaa haurauden voimaksi ja rikkoo normien rajoja. Work Body on koreografinen manifesti, joka nostaa esiin sen, mitä maailma pyrkii kätkemään.
Moving in november se tient jusqu’au 16 novembre à Helsinki
Visuel : ©Loizenbauer