Wim Vandekeybus, trublion de la danse contemporaine des années 80, offre une nouvelle version de PUUR (2005) au Ballet de Flandres. Un défi pour les jeunes interprètes de 2024.
Propulsé dans une autre dimension scénique, le Ballet de Flandres se frotte au jeu et au texte. En mettant en exergue l’importance du vécu des artistes dans l’incarnation d’une pièce, au-delà de toute interprétation, le chorégraphe flamand transmet l’essence de sa danse.
Les hasards du calendrier de l’Opera Ballet Vlaanderen mettent en face à face, dans chacune de ses deux maisons, deux des « enfants terribles » qui ont révolutionné la danse contemporaine. Wim Vandekeybus avec PUUR, remonté avec les jeunes danseurs du Ballet de Flandres, actuellement à l’opéra de Gand, puis à l’opéra d’Anvers en juin. Et OMBRA, la nouvelle création d’Alain Platel, qui a vu sa première, ce samedi 30 mars 2024, avec le chœur, l’orchestre symphonique et les autres danseurs de l’Opera Ballet Vlaanderen.
Ces deux pièces nous renseignent sur l’état du monde et comment ces deux créateurs le reçoivent. Là où Platel se retrouve sans mots, Vandekeybus crie encore. Cette nécessité de liberté, cette rage sauvage, cette transgression des règles établies, signatures de ces deux icones de la danse, secouent PUUR.
Inspiré du récit biblique sur le Massacre des Innocents, PUUR n’a plus le parfum de scandale suscité lors de sa création en 2005 au Festival d’Avignon dans la carrière Boulbon. Il reste cependant un marqueur intemporel de l’œuvre de Vandekeybus, totalement actuel dans son constat d’une violence aveugle exercée envers des innocents, qu’ils soient enfants ou « purs » de toute origine. Sur cette même scène de l’Opéra de Gand, dans C(h)œurs d’Alain Platel, les choristes hurlaient : « Les révolutions dévorent leurs enfants ». En 2005 ou en 2024, Vandekeybus partage ce triste constat, en y apportant le bémol que ces innocents, premières victimes des sacrifices guerriers, n’en restent pas moins, également, de potentiels futurs bourreaux.
Ajouter au mouvement des images a toujours été le credo de l’Anversois. Avec un passé de photographe, il maitrise la portée de celles-ci et s’en sert pour augmenter la puissance du geste et l’impact démultiplié du propos sur le public. Une adaptation cinématographique Here-After avait créé l’événement au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, deux ans après la création de PUUR.
Le spectacle démarre par une projection, un rêve/cauchemar, qui ne se situe pas vraiment. Un ailleurs. Un monde meilleur et moins binaire. Ou une vie après la mort. Un espace de réconciliation ou de revanche post catastrophe. Vandekeybus tente de redéfinir la notion de bien et de mal, de paradis et d’enfer, leurs limites s’effacent, le blanc et le noir se mélangent. Dommage que son texte en anglais, parfois inaudible et obscur, nous perde. La beauté des récits-poèmes de l’auteur néerlandais P.F. Thomése ne transparait pas assez. Il reste des moments forts : ce dieu souffleur qui débarrasse le plateau des corps inanimés, formant des masses proches des charniers ; des instants de grâce avec la présence évanescente de Claudia Ortiz Arraiza ; la vision à la fois sublime et intensément insoutenable de la jeune femme écartelée, sur une fabuleuse musique peaufinant son esthétisme.
Meurtries aussi profondément que les âmes, ces silhouettes errent, sortent de l’écran, se battent, se consolent, nous projetant dans un passé qui se répète à l’infini dans l’horreur, des images contemporaines se surexposant à celles fantasmagoriques de Vandekeybus. Les membres contorsionnés ou le poitrail qui s’empale sur une perche font frémir, rappels vivants du journal de 20 h, beauté cruelle à l’état pur. Similaires à des mouvements d’arts martiaux, de défense ou de tortures, les corps sont mis à mal autant que sublimés.
Vandekeybus, une fois de plus, joue avec la résistance des corps. Des résistants qui reprennent le flambeau des anciens, avec la réserve que la jeunesse de leur vécu ne peut pas toujours habiter la profondeur des propos, ni la sauvagerie des chorégraphies du créateur d’Ultima Vez. Les expériences de vie plus que de pratique de plateau sont la veine de ce courant marginal puis fondateur de la danse contemporaine, qui a démarré avec des amateurs. Les compositions de Fausto Romitelli et de David Eugene Edwards soulignent chaque singularité.
Sans être la pièce la plus enthousiasmante de Wim Vandekeybus PUUR reste un chalenge physique positivement relevé par les jeunes danseurs du Ballet de Flandres. Prenant le parti de hurler au-dessus de la meute, tout en observant son fonctionnement, le chorégraphe sème le trouble et un doute sur sa démarche.
PUUR, chorégraphie de Vandekeybus . Opera Ballet Vlaanderen
OPÉRA D’ANVERS ven. 28, sam. 29 juin, jeu. 4, ven. 5, sam. 6 juil. à 20h
dim. 30 juin, dim. 7 juil. à 15h
Visuel : (c)FilipVanRoe-OBV