Au Festival de Marseille, avant d’arriver au Festival d’Automne, la chorégraphe américaine signe un geste neuf, porté par une écriture et une maîtrise du geste qui scotchent nos yeux. Vraiment génial.
Nous voici dans la grande salle de la Friche, installé·e·s en quadri-frontal. Au centre, il y a un très grand podium mou, comme un matelas géant. Pour l’instant, les corps sont absents ; on entend des voix qui balancent des mots en anglais tels que « Skin », « Stain » ou « Sugar ». Puis ils et elles se font voir. Ils et elles passent et repassent devant nous en balançant leur mot.
Au final, nous verrons dix interprètes se placer sur cette espèce de radeau de la Méduse mou, vêtu·e·s d’habits de ville tous très différents, allant de la jupe en cuir très sexy au jogging-claquette-chaussette. La vision de ce petit monde étonne. Elle étonne encore plus quand il se fige, totalement, tel un tableau humain. Les postures sont super inconfortables : un dos trop cambré, un bras au-dessus de l’épaule, juste assez pour trembler. Même les gorges se retiennent d’avaler la salive qui coule le long d’un menton.
Le micro-mouvement arrive, il est un frémissement fascinant. On colle nos yeux sur l’un ou l’autre et on attend, subjugué·e·s, de voir si ce bras-là va se tendre au point de toucher le visage voisin.
Les technicien·ne·s et la chorégraphe font tourner ce plateau blanc pour que l’on puisse changer de point de vue — ce qui commence à ressembler à une partouze triste. Ils et elles se dépouillent ; les poches sont faites en même temps que des lèvres se tendent pour attraper un impossible baiser.
Les mouvements sont tous indépendants. Une danseuse est au bord de la chute, elle ne tient qu’en équilibre sur les hanches d’un autre qu’elle ne regarde pas. Les relations sont pourries entre ces gens aux regards aussi fermés qu’inquiets. Pendant qu’on les regarde, eux et elles nous arnaquent : tels des magicien·ne·s, ils déploient des liquides, des matières et des odeurs dont on ne soupçonnait pas la présence.
Leur interdépendance devient un lien aux allures de corde de shibari, et leur relation se tisse par une écriture chorégraphique faite d’arcs qui se creusent, à l’envers et à l’endroit. Il y a un basculement vers le désir, là où, jusqu’ici, se toucher n’était que contrainte.
Attention, l’humanité va mal, tout n’est pas rose du tout : il n’y a aucun espoir là-bas, plutôt une course vers une fuite en avant, une plongée dans le vide irrépressible.
Les interprètes sont éblouissant·e·s de maîtrise du geste, car tout est super écrit ici, et si l’un ou l’une faillit, il ou elle met en péril le fragile équilibre dans un effet papillon aux accents aussi pornographiques que bibliques.
La beauté des visions proposées par la chorégraphe est si précise qu’elle nous touche en plein cœur.
Faye Driscoll déploie une vision de nos tristesses contemporaines, de nos vanités et de nos élévations rêvées dans un spectacle magistral.
À voir le 22 juin à 20 H 00 à La Friche puis du 12 au 15 novembre au Festival d’automne.
Le festival de Marseille se déroule jusqu’au 6 juillet
Visuel : ©João Octávio Peixoto, AmyGernux, Jo Warren.