Il nous a été donné d’assister à la nouvelle pièce de Sarah Baltzinger, Vénus anatomique, dans la grande salle de l’Arsenal messin. Plus d’une heure durant, cinq jeunes danseuses de différents gabarits ont évolué sur scène, sans jamais la quitter, incarnant chacune une facette de la déesse de l’amour.
La figure de Vénus, l’avatar romain de l’Aphrodite grecque, a inspiré poètes, sculpteurs, peintres, psychanalystes, chanteurs, de l’Antiquité à nos jours. Chorégraphes aussi : cf. le ballet La Naissance de Vénus (1665) de Pierre Beauchamp et Jean-Baptiste Lully, sur un livret d’Isaac de Benserade, La Toilette de Vénus ou Les Ruses d’Amour (1757) de Jean-Georges Noverre, Vénus et Adonis (1808) du Nancéien Pierre-Gabriel Gardel, avec Mlle Clotilde dans le rôle-titre, Aphrodite (1917) de Michel Fokine, La Grotte de Vénus (1923) d’Alexandre Gorski, Temple of Venus (1923) d’Ernest Belcher pour un film muet, One Touch of Venus (1943) d’Agnes De Mille et Kurt Weill, Pas de dieux (1960) de Gene Kelly, avec Claude Bessy, Attilio Labis et Michel Descombey, sur le Concerto en Fa de George Gershwin, Brighton Venus (1978) de Murray Louis, avec Rudolf Noureev, des éclairages d’Alwin Nikolais et une musique de Cole Porter…
Sarah Baltzinger est partie des « Vénus anatomiques, représentations en cire de corps féminins réalistes » qui datent du XVIIIe siècle et qui se trouvent à la Specola de Florence. Et il est vrai que, tandis que s’installe le public, les danseuses et co-auteures Chiara Corbetta, Oceane Robin, Marie Lévénez, Clara Lou Munié et Shynna Kalis sont gelées, pétrifiées, à l’arrêt, éclairées par des rampes de leds posées au sol, pour partie dénudées, délicatement nettoyées, lavées, purifiées de toute coulure de cire – ou, selon la légende, de toute souillure du sperme d’Uranus – par une assistante de la chorégraphe munie d’une chiffonnette et d’un seau d’eau en matière plastique.
ll va sans dire que tout ce petit monde ne tarde pas à s’animer, à s’agiter, en un premier temps sous la forme de deux solos, l’un dans le style hip-hop, l’autre, plus circassien, puis en pas de deux et de quatre. Si la déco de Mano Terranova est réduite au minimum syndical – à un escabeau à l’arrière-plan et à quelques filasses giclant des cintres -, il n’en est pas de même de la composition électro-acoustique de Guillaume Julien qui motive ce qu’il faut notre quintette. L’effeuillage de ces gentes dames n’a ici rien d’obscène. Rien d’érotique non plus comme celui auquel se livraient il y a déjà une bonne dizaine d’années les adeptes de New Burlesque.
La performance relève d’une dissection à but artistique questionnant la représentation de ces « poupées de cire » et de son – l’une d’entre elles, Marie Lévénez, petite brunette aux cheveux courts, transbahutée par ses partenaires de jeu, se livrera à un monologue dansé en deuxième partie de soirée. La nudité parée de rustines, patches, prothèses en silicone produit l’effet de malaise voulu par la chorégraphe. Celui-ci vise, peut-on penser, à mettre en pièces les canons de la beauté féminine plutôt qu’à les proroger. Le final, chaotique, est dionysiaque. Nous avons, quant à nous, été sensible à la prestation spectaculaire de la danseuse-contorsionniste Chiara Corbetta dans le morceau de bravoure de cet opus.
Visuel : Vénus anatomique © Brian Ca.
Vénus anatomique sera reprise le 9 février 2024 à 20h à Micadanses dans le cadre de Faits d’hiver.