À la Seine Musicale, le 12, 13 et 14 Janvier 2024, sous la direction de Laurence Equilbey, Insula Orchestra et le chœur Accentus interprètent le Requiem de Mozart dans une mise en scène et une chorégraphie de Yoann Bourgeois.
Le Requiem de Mozart est immensément célèbre, par la beauté de la musique, par les circonstances dramatiques de sa composition, interrompue par la mort brutale prématurée du compositeur. Il est célèbre aussi par sa légende, celle du visiteur du soir, messager de la mort, qui harcelait un Mozart angoissé par l’écriture de son propre requiem. Laurence Equilbey est une innovatrice. Face à ce monument de la musique classique, elle a fait deux paris : celui de ne nous jouer que les fragments de l’œuvre écrits de la main de Mozart et celui d’enrichir le requiem par la mise en scène et la chorégraphie de Yoann Bourgeois.
Yoann Bourgeois est acrobate, metteur en scène et chorégraphe. Il a une formation dans les arts du cirque et en danse contemporaine. Il a joué dans des cirques tziganes en Roumanie et codirigé le centre national chorégraphique de Grenoble. Dans ce spectacle il va déployer ses thèmes de prédilection: le vide, le mouvement , la suspension.
Nous sommes face à une muraille noire. Dans l’obscurité, l’orchestre entame seul l’Introitus. Les choristes se rapprochent, sortent de l’ombre. Ils sont habillés de vêtements bleus, beiges, ou verts clairs, ceux de la vie ordinaire. La musique s’arrête, seul persiste un bourdonnement obsédant, les huit acrobates sont immobiles au sol. Tout s’anime ensuite, les danseurs se précipitent dans le vide, glissant de «la muraille-toboggan». Puis les corps sont littéralement engloutis, ne pouvant saisir les mains tendues. La scène est très impressionnante, la mort paraît inéluctable. Lors du Kyrie, les corps tentent d’échapper au néant, mais non, ils ne peuvent franchir la muraille noire même avec élan, même avec l’entraide. Alors ils déambulent pesamment, tels des prisonniers, vaincus par leur destin. Parfois les postures se figent rappelant les statuts de monuments aux morts. Mais Yoann Bourgeois montre aussi la joie de vivre. Les danseurs expriment la tendresse et la douceur lors du Recordare. Dans ce moment de méditation religieuse, un homme seul sur scène par sa posture pourrait incarner le Christ. La joie éclate lors de l’Offertorium, lorsque Saint-Michel conduit les fidèles vers la lumière promise. Alors les corps se libèrent, exultent. Débute une ronde, une danse joyeuse qui se termine par l’étreinte d’un couple. Les corps semblent ensuite se libérer de la pesanteur de la vie terrestre dans un ballet aérien.
La dimension orchestrale de l’œuvre frappe dès les premières mesures. La puissance des accords, la majesté de cette musique sont envoûtantes. La tragédie est là, mais elle va être éclairée par le magnifique solo de la soprano. L’orchestre revient en force lorsqu’ éclate brutalement le Dies Irae. La colère divine est manifeste. Lors du Tuba Mirum l’auditeur sera touché par le solo de trombone, repris par la somptueuse voix de basse de Christian Immler. Il est rejoint par le ténor Éric Ferring et l’alto Eva Zaïcik. La douceur, la suavité de la voix du ténor, la chaleur de celle de l’alto nous conduisent vers la sérénité. Les quatre solistes chantent en pleine lumière du haut de la muraille le Recordare. Sublime mélodie, dont il émane une douceur et une tendresse très émouvantes. Après quelques bribes lointaines comme égarées de la musique de Mozart, place au Lacrimosa. Un moment de toute beauté, mais fugace, car nous n’entendrons que les huit premières mesures, les seules écrites par Mozart. Requiem aeternam: le spectacle se termine par une reprise de l’Introitus tous les danseurs et chanteurs sont réunis en rond au centre de la scène. L’auditeur sera emporté par ce moment solennel, par la grandeur de cette musique et pourra entendre à nouveau la voix pure et limpide de la soprano Hélène Carpentier.
Le choix de se limiter aux fragments du Requiem composés par Mozart, les silences musicaux renforcent la sensation d’inachèvement. Cette fragmentation souligne l’incomplétude des œuvres humaines. Mais les silences permettent aux corps de s’exprimer pleinement. La chorégraphie de Yoann Bourgeois est à la fois spectaculaire et dépouillée. Deux plateaux tournants amplifient les évolutions des danseurs. Ensemble sur la scène, les chanteurs dansent et les danseurs chantent dans une alliance réussie entre la danse, la musique et l’acrobatie. Nous assistons à l’union harmonieuse de la musique classique et de la création contemporaine. Le spectacle est riche en émotions contraires: la mort est inexorable, très présente, mais l’espoir demeure grâce à la tendresse, la fraternité, la joie de vivre. La création de Laurence Equilbey et Yoann Bourgeois met en lumière la dimension universelle, philosophique du Requiem de Mozart. Dans un spectacle fascinant, inoubliable, de toute beauté.
Visuel : © JMC