C’est ce qui s’appelle finir en beauté. Le chorégraphe américain Trajal Harrell clôt ce soir le portrait que lui adresse le Festival d’automne avec un bijou, The Köln Concert, une vague nostalgique.
L’univers de Trajal Harrell se niche dans la culture ballroom. De spectacle en spectacle, pour le meilleur (Maggie the Cat, (M)IMOSA) et pour le pire (The Romeo), il creuse, avec une immense sincérité, les poses et les attitudes du voguing, poignets cassés et démarche sur demi-pointes. The Köln Concert apparaît comme une étape-clé dans sa quête.
Comme à son habitude, Trajal Harrell est présent en avant-scène pendant l’entrée du public. Comme à son habitude, il annonce, il lance le spectacle. Derrière lui, nous voyons sept banquettes de piano vidées de leur instrument. Au son de la voix et des mots de Joni Mitchell, Trajal ouvre ce bal. Il balance ses bras, ce qui entraîne sa nuque et ses pieds dans un surplace. C’est léger, aérien. Il va être rejoint par les danseurs et les danseuses du Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble. Iels s’asseyent. Iels balancent aussi. Mais c’est différent. On voit des profondeurs autres, des courbes autres.
C’est l’apparition du Köln Concert a proprement parlé qui lève la danse. The Köln Concert est un moment vraiment culte de l’histoire de la musique. Nous sommes le 24 janvier 1975, ce soir-là, Keith Jarrett est excédé de ne pas trouver à l’opéra de Cologne le piano qu’il avait demandé. Il décide finalement de jouer. Il improvise pendant une heure. C’est dans la boîte. Il s’agit de l’album le plus connu et reconnu de Jarrett.
The Köln Concert, présenté en première française le 20 décembre à la Maison de la musique de Nanterre, n’est pas l’illustration du concert éponyme. Trajal y livre une partition qui n’a rien d’improvisé. Il y entre pour retrouver un temps imaginé, fantasmé où tous les genres et toutes les époques se mêlent dans un syncrétisme au service de sept soli.
Chaque interprète s’empare des notes pour en incarner les espaces. Corps malades gesticulants pour survivre, corps tranquilles ondulants pour séduire, corps vainqueurs pour assumer leur fierté. Tous et toutes font avec qui iels sont. Un.e par un.e, iels s’avancent dans des marches en équilibre qui les attirent vers la chute. Les visages sont serrés, fermés. La course est vaine. Iels ne se regardent pas les un.e les autres, c’est chacun pour soi.
L’ensemble est un manifeste de nostalgie sublimée. Trajal Harrell y livre l’essence des racines du voguing, quelque part au début du siècle dernier, avant la constitution des Houses. Au bord du lipsync, au bord de la parodie, au bord du littéral, The Köln Concert se trouve au bon endroit, là où la délicatesse devient un manifeste.
Ce soir, jeudi 21 décembre à 20 h 30 à la Maison de la musique de Nanterre Scène conventionnée d’intérêt national – art et création – pour la musique. 8, rue des Anciennes Mairies 92000 Nanterre. Billets à acheter sur place, il reste plein de places.
Visuel : ©Reto Schmid