Deux ans après son portrait, le Festival d’automne invite le chorégraphe et danseur américain à poser des demi pointes dans l’immense Artagon, cet ancien collège de Pantin devenu une résidence d’artiste. En guise de rentrée des classes, la performance nous invite à découvrir quatre courtes pièces ayant comme fil conducteur cousu, le tissu.
The Collection est comme un menu. On peut tout prendre, et même en reprendre. À voir : à 19h A Ghost Ballet (30 minutes), à 19h45, Arena (25 minutes), puis à 20h30, Five Friends in Five Acts (25 minutes), puis ça recommence avec les deux premiers jusqu’à 22h20. Au milieu du programme, vous pouvez accéder, en prenant la grande rampe, jusqu’au deuxième étage pour accéder à Powder Rooms, une performance pour un·e danseureuse et 15 spectateurices max. Voilà pour le vivant. Il y a aussi une salle de projection et une boutique de fringues. Copieux donc ! Mais alors, que voyons-nous ?
Les pièces de Trajal peuvent se résumer à une marche qui tourne en rond. Une marche qui aime monter les talons et baisser les hanches, tordre les cous et faire des moues monstrueuses. L’esprit ballroom n’est jamais loin dans les bras qui balancent à l’excès et les podiums invisibles qui semblent hurler « and now, walk ! »
Les trois pièces de l’atrium : Ghost Ballet, Arena et Five Friends in Five Acts sont toutes les trois des marches. La première est la plus fashion des trois dans ses codes. Nous retrouvons Trajal Harrell, New Kyd, Perle Palombe et Stephen Thompson en frontal. Un panneau horizontal est ponctué de deux tissus de soie à l’allure japonaise. La référence est directe, le chorégraphe s’intéresse précisément au travail de Tatsumi Hijikata, le fondateur du Butô. Harrell cherche à faire du butô pop en quelque sorte en vidant la danse contemporaine de son côté ballet, à l’assécher en réalité, pour n’en garder que la quête du geste, le début d’une tentative.
Le quatuor passe devant nous, l’un·e après l’autre, chacun·e passant derrière le panneau, se change, et réapparaît. Nous voyons de vrais fantômes vêtus de draps blancs troués pour laisser les yeux voir, nous voyons avant cela des corps tordus comme tourmentés, comme dans les représentations des fous et des folles dans des asiles. Des tordus, des marginaux : des queers.
Pour Arena, nous assistons à une presque battle entre Perle Palombe et Vânia Doutel Vaz. Là, le public les entoure ou les surplombe d’ailleurs, puisque, architecture de collège oblige, on peut facilement se caler dans les étages pour voir d’en haut. Au milieu du cercle, il y a deux petits carrés en perles de bois. Elles tournent autour, saluent le public, s’échangent leurs vêtements pour tenter de devenir l’autre en miroir, et se lancent dans un combat de danse, où le monstrueux se niche dans les omoplates et les bouches. Elles sont géniales quand elles débordent et s’emparent de leurs corps dans des gesticulations désorganisées.
La dernière pièce de l’Atrium est un banquet où le champagne coule à flot. Cette fois, dans une allure de vrai défilé, Trajal Harrell, Songhay Toldon et Perle Palombe tissent un presque jeu de morpions à l’aide de bandes rouges et blanches. Cela forme des cases sur lesquelles Trajal et Perle posent des assiettes blanches. Il s’agit d’un hommage à l’exposition The Five Friends de Robert Rauschenberg, Cy Twombly, Jasper Johns, Merce Cunningham et John Cage. Là encore, ça déambule sur un minuscule podium imaginaire, mais ça peut aussi devenir un très chic bal baroque. De fil en fil, la performance devient échevelée et la sensation est celle d’avoir eu la chance d’être invité·e à entrer dans un club très privé.
À l’étage, nous avons attendu que notre tour arrive pour assister à Powder Rooms. Nous retrouvons Challenge Gumbodete dans la pénombre, face à un grand miroir qui ne reflète rien. On l’aperçoit dos à nous, se tordre, dans un acte de pop désemparée. Billie Eilish scande de façon claire : I tried to scream / But my head was underwater / They called me weak / Like I’m not just somebody’s daughter. Mais il faut convoquer d’autres divas pour s’en sortir, et ce sera Human Behaviour de Björk qui hurle, mais n’arrive pas à se faire entendre. Et pour cause, le XXIe siècle est déjà trop avancé pour danser comme si de rien n’était. Mais que se passe-t-il alors si la lumière revient ? On pourrait penser que cela rendrait le geste plus clair, presque, osons le mot, heureux. Eh bien non, c’est tout le contraire, c’est pire même. Le jour éclaire encore plus les impossibilités. Et lui, comme tous les autres qui ont dansé dans l’Atrium, grimace, se tord, et glisse telle une icône blessée.
The Collection permet de comprendre parfaitement l’œuvre de Trajal Harrell, où le voguing flotte sur une nostalgie où les grandes figures du XXe danseraient ensemble.
The Collection by Trajal Harrell unfolds as a living menu of performances: Ghost Ballet, Arena, Five Friends in Five Acts, and the intimate Powder Rooms. Each work reimagines walking as dance — haunted, twisted, flamboyant — drawing from Butoh, ballroom, and queer aesthetics. The atrium hosts ghostly figures, duels of bodies, and baroque banquets, while Powder Rooms isolates a single performer in a fragile, wounded pop ritual. Together, these pieces reveal Harrell’s signature blend of voguing and historical memory, where past icons meet contemporary ghosts.