«Sur le fil », l’oeuvre au noir de Nacera Belaza

Nacera Belaza est une chorégraphe très singulière dont le travail est unique. Elle seule travaille le plateau comme une photographe, en noir et blanc. Sa danse est en permanence faite d’apparitions et de disparitions fantasmagoriques. Sur le fil, qui a été écrit en 2015, et qui est présenté ce soir dans une nouvelle version, est un exemple parfait de cette esthétique.

Sur scène, ils et elles  ne sont que des ombres, presque invisibles. Dalila Belaza, Aurélie Berland, Paulin  Banc et un groupe d’enfants (Bouramou Coulibaly, Marc Ethane Olandzobo, Ndr Ikogni, Arindra Rakotobe et Miranto Rakotobe, Chaïa Malécot ) agissent dans un corps collectif. Un seul corps. Pourtant, ils et elles n’évoluent pas forcément ensemble, pas au même rythme. Oui, un groupe d’enfants, mais ça on ne le réalise qu’au moment des saluts, quand la lumière revient. Avant, les corps sont indéfinis, tous dégenrés par des tee-shirts larges, des joggings informes et des chaussettes toutes aussi sombres aux pieds. Et ça aussi, c’est l’une des marques de fabrique de Nacera. Transformer quelque chose d’absolument horrible en une surcharge de beauté. Les bassins suractifs et les ondulations des côtes donnent aux lignes les mêmes allures que les fluides robes en soie de Pina. C’est intense et léger.

La bande-son est faite de percussions aux alliances suaves. Étrange, entêtant. Le pas principal de la pièce est une course en arrière et en cercle, comme des derviches qui auraient justement perdu le fil de leur quête spirituelle. Ici Dieu ne compte pas. La danse de Nacera, si elle prend des allures mystiques tant elle s’empare de vos tripes, y arrive parce qu’elle est ancrée, les pieds bien posés sur le plateau. Et puis, alors que l’hypnose est totale, presque méditative, elle vous réanime, vous oblige à réagir dans des séquences de douche de lumière qui transforment les corps en volutes de fumée plus fines qu’un… fil. À ce jeu, le trio de Nacera, Dalila et Aurélie est un envoutement.

Du point de vue de l’écriture, cela témoigne d’une exigence folle. Car pour laisser les corps agir librement, il faut beaucoup d’écoute et beaucoup de structure. Ici, on ne compte pas ses pas, ici, on ne voit pas. On ressent. C’est une danse très particulière parce qu’elle inscrit des motifs répétitifs sans chercher, comme peut le faire le merveilleux Alessandro Sciarroni, ni la performance, ni l’épuisement.

C’est dément parce que c’est en dehors de tous les codes chorégraphiques connus. En fait, cela ne ressemble à rien d’autre qu’à un spectacle de Nacera Belaza.

Et cela ne se résume pas seulement à un spectacle puisque la chorégraphe et Chaillot programment jusqu’au 19 la deuxième édition de Chaillot Expérience avec comme thème l’Algérie contemporaine.