Sous l’apparence des danses urbaines et la référence musicale au >dub,le chorégraphe déploie de puissantes dérivations, dans une grande forme impactante
La grande salle moderne de l’Opéra Berlioz à Montpellier a de quoi impressionner presque autant que l’Opéra Bastille à Paris. Quand la saison de Montpellier Danse y programme Dub, une pièce géante d’Amala Dianor, à la mi-décembre, le message est vite entendu : il s’agit du grand et beau spectacle des fêtes, pour les familles un peu bourgeoises. Tout bruisse de joyeux piaillements d’enfants et jeunes ados. Alors le très sérieux critique en danse contemporaine y regarde à deux fois.
C’est que la dizaine de danseurs et danseuses qui font leur apparition sur l’immense plateau ont un furieux air de diversité dosée à la perfection, genre United Colours of Benetton, sur un furieux son de live électronique ; tout cela en énergie survoltée. Et vite, en invitant le public à taper le rythme dans ses mains. C’est vite entendu : le premier tableau est applaudi à tout rompre, en plein spectacle. A ce stade, comme s’il sagissait de numéro de cirque, on est quand même un peu gêné par cette tournure de show, comme on en a tant vu : un public très bien mis vient s’émoustiller à la vue de looks et gestuelles des quartiers, tout de même stéréotypés à souhait. Depuis que le hip hop a triomphé, on est embarrassé par la connotation exotique post-coloniale de ce sous-texte scénique.
Cela posé, ressaisissons-nous. C’est tout de même en pleine connaissance de cause qu’on est venu voir le beau grand spectacle des fêtes. Du reste, on connaît des CV plus fades que celui d’Amala Dianor. Il puise les ressorts de son art autant au registre des danses urbaines, qu’aux acquis d’une formation de très haut niveau en danse contemporaine (CNDC d’Angers). Et on l’a apprécié aussi en interprète d’un Emanuel Gar, par exemple. Pointu.
A y réfléchir à deux fois, il ne faut pas se tromper d’adresse. La soirée est tout public. Ne pas en attendre autre chose. Que le dit public se réjouisse, et qu’il le manifeste bruyamment, n’est quand même pas une mauvaise nouvelle en soi. A y être, cette autre bonne nouvelle : même actuellement en phase ascencionnelle, Amala Dianor n’en est pas au niveau de notoriété d’un Prejlocaj ou d’un Merzouki. Miser sur lui pour remplir deux soirs l’Opéra Berlioz (2000 places) pouvait sembler un pari risqué. Or réussi.
Alors regardons à deux fois. Et d’abord, écoutons. Ecoutons ce live phénoménal d’Awir Léon (qui a aussi des attitudes de danseur devant ses ordinateurs). Phénoménal de puissance impactante. Mais pas que. C’est aussi son incroyable richesse de diversités, qui attire. Parlons du dub, véritable projet de déconstruction des sons, qui tire le tapis des rythmes et des vitesses contradictoires, dans un chromatisme tellurique, un ivresse d’hybridations, sous les oreilles, à corps happés, tourneboulés.
Regardons donc la danse. En surface, elle a certes tout ce qu’il faut de pirouettes acrobatiques, qui épatent la marmaille. Mais en réverbération de la musique, elle a aussi ses penchés insolites, ses syncopes qui fouettent, ses dérapages contrôlés en chutes glissées, ses attitudes à foison, ses jeux, ses fulgurances. C’est d’un anti-ennui absolu, servi par une distribution d’excellence de la maîtrise, de la technique, et de la présence. Non sans décontractions, pointes d’humour, et touche queer post J.O. Il y a matières.
La composition chorégraphique résonne de la même manière, en grandes respirations pulsatiles, balayages latéraux du groupe sur toute la portée du plateau, ou bien montées et descentes, comme aspirées, de fond à front de scène. Et là-dedans, une multitude de dérivations, de fractionnement du groupe, d’incises solistes, de suspensions à scruter. Grande respiration.
Cela en résonance analogue de l’extraordinaire dispositif scénographique de Grégoire Korganov, galvanisé par les lumières de Nicolas Tallec et Agathe Geffroy. Certes pas minimaliste. Ce serait comme le design high-tech d’un immeuble à plusieurs étages, dont la façade aurait été soufflée, dégageant autant d’alvéoles pour de micro-situations chorégraphiques au bord du vide. On se méfierait de tant d’impact spectaculaire, si n’y survenaient aussi des instants de grâce délicate, des croquis relationnels, baignés dans des pénombres que le regard doit fouiller avec scrupule.
Dub a donc énormément de consistance, finalement envoûtante, par-delà les effets de high-energy de son affichage en danses urbaines.
Visuel : © Pierre Gondard