Après la pluie vient le beau temps, et ce samedi 10 juin, le dicton dit vrai, ce qui a permis à Ashley Chen, Anna Chirescu et Cheryl Therrien de faire entendre à deux reprises que l’écriture de Merce Cunningham ne se résume pas à une histoire de lignes.
Sous le soleil cette fois, nous partons en rang serré et amical pour une ballade autour de l’œuvre de Merce et de ce qu’il reste de son écriture aujourd’hui. Ashley Chen a dansé dans la Merce Cunningham Dance Company de 2000 à 2004. Mais tous et toutes ont, à un moment de leur carrière, inteprété une partition du maître de la danse moderne américaine. Ashley Chen, Anna Chirescu, Pauline Colemard, Mai Ishiwata et Julien Monty, chacun dans une tenue color block, nous entraînent en mots et en gestes jusqu’à une très jolie place où le violoncelliste Pierre Le Bourgeois nous attend. Iels nous font voir et entendre des extraits, sans les nommer, des pièces les plus célébres. Nous sommes ravi.es de retrouver la beauté inouïe de Beach Birds où les danseurs et les danseuses ont chacun une partition ensemble mais séparément. La cohésion entre iels est superbe et le moment délicieux. Il est une parfaite mise en bouche pour un jeu un peu plus corsé, le Dime a Dance.
Comme plus tard dans Fabrications, Merce a souvent joué avec l’aléatoire. Et toujours, il a dissocié la musique et la danse. Les inteprètes découvraient la bande-son le jour de la représentation. Au moment où il fonde sa compagnie en 1953, il n’est pas encore le roi de la structure, il est plutôt celui des jeux au sens « casino » du terme ! Dime a Dance est totalement pervers. Il y a treize lancements de dés et un tirage au sort de cartes qui décident de la pièce jouée, de sa durée et de la distribution. Ce jour-là, à 19 heures dans le Jardin du Temple, la carte d’Ashley a été tirée à chaque fois, ce qui a déclenché le rire et le soutien du public. Car, chez Merce, nous ne sommes pas dans la danse-soin. Les sauts sont puissants et se parent de tours (sinon, ce n’est pas marrant). Les déplacements comptent des torsions et des gainages assez extrêmes. Bref, c’est TRÈS physique. Le résultat est un grand bonheur qui n’a pas pris une ride.
Ces deux propositions ne sont pas des mausolées. Au contraire. Dans ce travail, Ashley Chen, Cheryl Therrien et Anna Chirescu arrivent à transcender l’icône pour la faire sortir du champ du répertoire et la faire entrer dans celle du spectacle vivant. C’est excessivement intelligent et terriblement bien exécuté.
Visuel : ©Fabrice Gaboriau