Les 13 et 14 septembre, le festival Romaeuropa invitait l’iconique chorégraphe à reprendre son chef-d’œuvre du confinement. Elle y ajoute une première partie aussi sombre que belle pensée avec le musicien électronique Diego Noguera. Beethoven 7 est un double programme somptueux qui montre la technicité fine de Sasha Waltz.
Tout commence par une marche lente, quatre créatures avancent dans la pénombre augmentée par la brume dense. Elles sont casquées comme des centurions. La musique est au bord de la techno. Elle est jouée live par Diego Noguera, elle se charge, elle est lourde, aussi fermée que les visages des interprètes de plus en plus nombreux. La virtuosité n’est pas ostentatoire. Elle se niche dans la profondeur des fentes, dans les angles parfaits des coudes et des chevilles que Sasha Waltz s’amuse à placer en exact angle droit. Les genoux se plient au-delà du supportable, donnant à voir des portés aux allures étranges. Il y a du chaos partout, mais un chaos maîtrisé où la beauté règne. C’est à une danse géométrique que nous assistons, sans aucun espoir de survie. Le groupe est volontairement tenu au bord, presque à en chuter. C’est comme s’ils et elles étaient coincé.e.s dans un monde parallèle. Pour essayer de s’en sortir et d’accéder à un autre au-delà, les paumes des mains s’élargissent, les doigts deviennent un langage, universel, des invitations à s’approcher. Mais être ensemble est un vœu vain. Même quand ils et elles dansent tous et toutes dans le même lieu, ce sont leurs unicités qui priment, chacun.e dans leurs corps. Sasha Waltz utilise souvent dans ses pièces la figure de la ronde. Cette première partie de Beethoven 7 en compte une, mais elle n’a rien ni de léger, ni d’enfantin. Elle n’est pas confortable, les nuques se cassent, les regards cherchent le sol. La musique, elle, n’hésite plus, elle tape comme le monde qui nous entoure nous tape sur les nerfs. Elle est l’exact pendant des mouvements colériques de la symphonie.
Nous retrouvons la troupe après un vrai entracte de vingt minutes. La lumière a chassé les ténèbres et c’est une vague de nymphes antiques qui envahit l’espace dans ses moindres recoins. Les robes sont fluides comme chez Pina, roses poudrées, à bretelles, en soie. Comme toujours chez elle, la marche est le point de départ du mouvement. Contrairement à la première partie, les déplacements se font le visage ouvert. Les interprètes se rencontrent et s’élancent, les bras autour du dos de l’autre, le sourire aux lèvres. Ils et elles prennent appui sur une épaule pour se lâcher et sembler conquérir un monde où le possible existe, où les frontières n’existent plus, où la planète serait unie sous la bannière d’un seul drapeau. Les sauts approchent des grands jetés, les rondes se font lumineuses dans une sensation de lâcher-prise hautement maitrisée. Les bras tendus cherchent le ciel dans des diagonales précises. Les bustes s’offrent, les dos se creusent, les offrandes se multiplient.
Plus la symphonie avance, plus la danse devient complexe dans une belle obsession de lignes. Comme dans la première partie, nous retrouvons des fentes et des centres de gravités bas qui permettent des effets de grandes amplitudes. La danse contact est utilisée ici dans des interludes qui font la part belle au souffle.
Le Festival Romaeuropa se tient à Rome jusqu’au 30 novembre.
Sasha Waltz sera à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées les 4 et 5 novembre pour Passion selon Saint Jean
Visuel : ©Sebastian Bolesch