Le programme le plus In du Off a ouvert ses portes le 2 juillet. L’extraterritorialisation estivale du Théâtre Louis Aragon de Tremblay, merveilleusement dirigé par Emmanuelle Jouan, propose jusqu’au 6 un triple programme à la cohérence folle composé d’un extrait de AC/DC, d’Agathe Pfauwadel & Aëla Labbé, d’extraits de Jusqu’au moment où nous sauterons ensemble, de Mélanie Perrier, et de M&M, une création d’Amala Dianor.
Avant que le programme, composé de trois spectacles, ne commence, Emmanuelle Jouan arrive sur le plateau en compagnie d’Agathe Pfauwadel, Aëla Labbé, Mélanie Perrier et Amala Dianor. Elle prend la parole : « On ne va pas faire comme s’il ne se passait rien dans ce pays. Je voulais partager avec vous notre profonde inquiétude et notre émotion. Je suis directrice d’une scène conventionnée danse en Seine-Saint-Denis, nous sommes évidemment un théâtre public soutenu par tous les soutiens publics dont on a besoin pour faire cet accompagnement des chorégraphes. (…) Nous sommes une partie infime de l’écosystème du service public de l’art et de la culture, et nous savons que nous sommes dans le collimateur d’un parti qui, quoiqu’il en dise, n’est pas un parti comme les autres. La Belle Scène Saint-Denis est un projet fou, expérimental, issu d’une politique culturelle ambitieuse en faveur de l’art chorégraphique. » Ce faisant, elle résume ce qu’est la Belle Scène Saint-Denis et annonce, sans le vouloir, la ligne de cette matinée à la progression et à la construction parfaites.
AC/DC ouvre le bal de la matinée. Il est 10 heures, le mistral souffle très fort. Ils entrent par la porte de la belle bâtisse qui ceint la scène. Le jeune Jules Lebel d’un côté et Stéphane Imbert, le plus âgé, de l’autre, vaquent à leurs occupations. Stéphane construit des fondations fragiles et Jules pose un vinyle sur un tourne-disque. 10 heures. Il balance Hells Bells du groupe AC/DC, dont il est ultrafan. Dans une référence à Shirtologie de Jérôme Bel (non, pas de jeu de mots ici !), Jules retire un à un la dizaine de tee-shirts à l’effigie du groupe qu’il accumule. L’image est drôle. La danse arrive dans un pas de deux qui laisse la place à une écoute active de l’un envers l’autre. Qui porte qui ? Qui s’appuie sur qui ? Jules est un danseur de l’IME de Château-Thierry, Stéphane danse depuis quarante ans. Aujourd’hui, ils font le même métier. Debout, les corps penchés, ils ne tiennent que si l’autre tient bon. AC/DC est aussi un vrai terme, qui signifie « courant alternatif/courant continu ». Ici, l’altérité se gagne dans la continuité, dans un moment aussi doux que fort.
Autre spectacle, autre cloche, cette fois au singulier. Et une vraie, sur scène. En réalité, un gong. Un beau, bien doré. Thierry Balasse se branche (oui, un gong ça se branche !) et cherche le silence avant le martèlement. Marie Barbottin, Pep Garrigues, Claire Malchrowicz, Jérémy Martinez, Bérangère Roussel sont hyper chics en blouse de gaze et large bermuda noir. Les pièces de Mélanie Perrier sont toujours chics dans le fond et la forme. Elle cultive le détail et, comme dans AC/DC, l’écoute. Avec Jusqu’au moment où nous sauterons ensemble, dont elle présente un extrait, le titre annonce la couleur. Oui, nous sauterons ensemble, mais avant, il se passe quoi avant ? Eh bien, on se met en rond, on lève les talons en demi-pointe et on redescend, et on recommence au son du gong qui entre en nous. Le mouvement intervient dans un lâcher de bras métronomique qui dissone. Les lignes se tissent de façon éblouissante, dans une forme de géométrie sensible. Les regards s’échangent entre les interprètes qui choisissent d’entrer dans des contrepoints. Ils et elles sont les cloches qui virevoltent sans pouvoir jamais se détacher de leur socle, collées pour l’éternité à leur édifice. L’édifice chez Mélanie, c’est le corps et elle en prend soin, extrêmement soin, pour que tous et toutes soient au diapason d’un unisson vibrant. C’est sublime.
Pour la dernière proposition de la matinée, nous découvrons M&M du célèbre Amala Dianor. Il s’agit d’un autre pas de deux, féminin cette fois. Marion Alzieu et Mwendwa Marchand attaquent la danse, elles glissent en profondeur, envoient les hanches sur une musique électro assez rapide. Comme pour AC/DC et pour Jusqu’au moment où nous sauterons ensemble, la clé du mouvement est dans l’écoute. L’écriture reste hip-hop, elles viennent chercher leurs pieds avec le plat de leur main, cassent les nuques, mais elles s’éloignent de l’exercice urbain. Amala va ici encore plus dans le contemporain. Il offre à Mwendwa Marchand la chance de briller dans d’autres tessitures. On sent chez elle les ballroooms et la danse indienne. Elle danse comme on dévore un repas quand on crève de faim, elle avale la scène. Sa fluidité s’empare de chacun de ses muscles dans un bassin mobile qui vous envahit. Cela résonne parfaitement avec les lignes plus contemporaines de Marion Alzieu.
Un magnifique programme donc, à la cohérence parfaite !
Jusqu’au 6 juillet 2024 à 10 heures – durée 1h45- La Belle Seine-Saint-Denis, Avignon
En tournée :
Amala Dianor présente :
LOVE YOU, DRINK WATER
du 10 au 12 juillet, 22 heures, lycée Jacques Decour, Paris | festival Paris l’été
LEVEL UP (extrait de DUB)
du 22 au 24 juillet dans le cadre des soirées de l’Olympiade culturelle à l’Olympia, Paris
Visuel : ©TLA